GM Judit Polgar
Bio
Tout le monde s'accorde sur une chose : Judit Polgar est la plus grande joueuse d'échecs de tous les temps. Et de très loin. Si le débat fait rage pour savoir, chez les hommes, qui de Garry Kasparov et de Magnus Carlsen est le plus fort, il est très clair que Polgar est la plus forte femme ayant jamais joué aux échecs. Non seulement elle a battu les deux grands noms cités plus haut, mais elle a également accroché à son tableau de chasse d'autres champions du monde : Anatoly Karpov, Viswanathan Anand, Boris Spassky, Vladimir Kramnik, Ruslan Ponomariov et Veselin Topalov.
Polgar est la seule femme à avoir dépassé les 2700 Elo, un classement au-delà duquel on commence à parler de "Super-GMI". Elle est également la seule à avoir battu un numéro mondial en activité. En 1991, à l'âge de 15 ans et quatre mois, elle bat le record de précocité de Bobby Fischer en devenant la plus jeune GMI de l'histoire (un record aujourd'hui détenu par Abhimanyu Mishra).
Dès l'âge de douze ans, Judit fut numéro mondiale chez les femmes. Un statut qu'elle conservera plus de 26 ans jusqu'à sa retraite sportive, en 2014. Son meilleur classement fut 8ème mondiale, avec un pic Elo à 2735. Bien qu'aujourd'hui retirée des affaires, elle reste la meilleure joueuse de l'histoire jusqu'à preuve du contraire !
- Jeunesse et début de carrière (1985-1991)
- Plus jeune GMI de l'histoire (1991-1997)
- Meilleure joueuse de l'histoire (1997-2002)
- Victoire contre Kasparov (2002-2004)
- Retour à la compétition (2004-2014)
- Héritage
Jeunesse et début de carrière (1985-1991)
C'est à neuf ans que la petite Judit remporte son premier tournoi international d'échecs. Mais son parcours échiquéen a commencé bien plus tôt, lorsque ses parents décidèrent de faire d'elle et de ses sœurs Susan (GMI) et Sofia (MI) les sujets d'un projet de recherche bien particulier…
Comme elle l'explique sur son site personnel : "En se basant sur des études scientifiques sur l'éducation, nos parents ont décidé de faire de la vie de leurs enfants un cas d'étude tendant à prouver que n'importe quel enfant en bonne santé, s'il s'entrainait suffisamment assidument et intensément, pouvait atteindre un niveau exceptionnel dans n'importe quel domaine d'expertise. Pour nous, ce fut les échecs."
Judit Polgar fut donc programmée dès l'enfance pour devenir une championne d'échecs. Et la prophétie se réalisa. A l'âge de sept, elle jouait à l'aveugle contre un maître et gagnait. Deux ans plus tard, elle remportait la section non-classés de l'open de New York, dominant des experts n'ayant jusque-là jamais joué aux Etats-Unis. Les GMIs s'amoncelaient autour de ses parties pour voir le prodige en action.
Après cette première victoire internationale, Polgar bat pour la première fois un MI en compétition en 1986, à l'âge de 10 ans seulement. Très vite, sa carrière décolle au plus haut niveau. En 1988, elle réalise sa première norme de MI, remporte le championnat du monde -12 ans mixte (elle remportera également le titre en -14 deux ans plus tard), et termine devant le GMI Yair Kraidman dans un tournoi.
Des résultats qui lui permettent d'obtenir très tôt le titre de maître internationale. A douze ans seulement, elle est alors la plus jeune à recevoir ce titre. (Praggnanandhaa détient aujourd'hui ce record, ayant obtenu le titre à dix ans et dix mois). Mikhail Tal déclare alors que la jeune fille a le potentiel pour devenir championne du monde contre les hommes, car elle dépasse de loin en précocité des légendes telles que Fischer et Kasparov (qui sont devenus MI à l'âge de 14 ans).
Judit connaît également à cette époque de beaux succès aux Olympiades. En 1988, à l'âge de 12 ans, elle joue avec ses sœurs pour l'équipe de Hongrie féminine. Elle réalise un impressionnant score de 12,5/13 au deuxième échiquier, s'octroyant l'or individuel. Son équipe remporte également la compétition, offrant à la Hongrie sa première grande victoire internationale. En 1990, Judit mène à nouveau son équipe vers la victoire, s'offrant au passage l'or individuel. Elle ne participera plus jamais à un tournoi féminin.
Elle devient la numéro 1 mondiale féminine en 1989, alors qu'elle n'a que douze ans. Un trône qu'elle conservera jusqu'à sa retraite sportive, 26 ans plus tard. Elle entre dans le top mondial avant ses treize ans. Le British Chess Magazine écrit alors que "Les performances d'adolescents de Fischer et Kasparov font pâle figure face aux résultats récents de Judit Polgar".
Plus jeune GMI de l'histoire (1991-1997)
En 1991, Polgar devient championne de Hongrie toutes catégories et obtient le titre de grand-maître internationale. Elle n'est alors âgée que de quinze ans et cinq mois, battant le record de Bobby Fischer d'un mois.
Tout juste auréolée de son titre, elle continue à réaliser des performances très impressionnantes. En 1992, elle termine seconde ex-aequo avec Vladimir Epishin au tournoi de Madrid, où elle n'est devancée que par Anatoly Karpov. Au festival d'Hastings, elle termine première ex-aequo avec Evgeny Bareev. L'année suivante, elle remporte un match de gala face à l'ancien champion du monde Boris Spassky sur le score de 5,5 à 4,5. En 1994, elle gagne son premier tournoi d'élite, le Torneo Magistral de León, avec un superbe score de 7/9 (aucune défaite). Elle domine notamment de grands noms tels qu'Alexei Shirov, Gata Kamsky ou Ivan Sokolov, deuxième avec 5,5/9. La même année, elle termine également troisième d'un autre tournoi d'élite auquel participent Shirov, Kamsky, Karpov and Viswanathan Anand.
Meilleure joueuse de l'histoire (1997-2002)
Début 1997, Judit participe au 14ème super-tournoi de Linares, terminant cinquième parmi un parterre de 12 très forts GMIs. La moitié des joueurs sont classés au-delà des 2700 Elo, et la jeune hongroise se présente avec l'avant-dernier classement des participants. Pourtant, elle fait mieux que tenir son rang et termine avec 6/11. Elle devance notamment deux membres du top 4 mondial, Vishwanathan Anand (2765 Elo) et Vassily Ivanchuk (2740 Elo), qu'elle miniaturise en 19 coups. Cinq mois plus tard, elle est sur la ligne de départ du tournoi international de Dortmund, qu'elle termine en cinquième place devant les légendes Anatoly Karpov, Boris Gelfand et Nigel Short.
Le mois suivant, le The New York Times salue l'empreinte qu'elle a déjà imprimé sur le monde des échecs dans un article du grand-maître et éditorialiste Robert Byrne : "Le débat sur l'identité du meilleur joueur de l'histoire fait rage depuis des décennies : Bobby Fischer, Garry Kasparov, Jose Raul Capablanca, Alexander Alekhine ou encore Emanuel Lasker ? Chez les femmes, en revanche, ce débat n'existe pas : la meilleure joueuse de l'histoire est hongroise, et elle a 21 ans. C'est la plus jeune des formidable sœurs Polgar, Judit.
C'est à partir de ce moment qu'on commence à reconnaitre Judit telle qu'on la connait aujourd'hui : comme la meilleure joueuse de l'histoire. Comme l'ajoute Byrne : "Polgar est la seule femme à concurrencer de manière régulière le top 20 mondial." Aujourd'hui encore, cette affirmation est vraie.
La hongroise continue à concourir au plus haut niveau mondial durant la fin des années 90. En 98, a Wijk aan Zee, elle termine en milieu de tableau avec 6,5/13, à égalité avec les GMI Karpov, Veselin Topalov et Jeroen Piket. Elle sera également la seule à infliger une défaite au futur co-vainqueur du tournoi Viswanathan Anand. La même année, elle affronte le champion du monde de la FIDE en activité Anatoly Karpov dans un match d'exhibition. Elle gagne deux parties et annule les six autres, remportant le match sur le score de 5-3. Quelques mois plus tard, elle devient la première femme à participer à l'US Open, qu'elle termine en première position, à égalité avec Boris Gulko.
Elle est également la première à jouer le championnat du monde, à Las Vegas en 1999. Elle atteint les quarts de finale où elle tombe face au futur champion Alexander Khalifman. Elle prendra sa revanche en 2000 en remportant avec 6,5/9 le très fort Japfa Classic de Bali, où elle devance ce même Khalifman (6/9) et le précédent champion Karpov (6/9). En 2001, elle participe au super-tournoi de Linares que Kasparov remporte avec 7,5/10, tandis que les cinq autres participants terminent avec 4,5/10. Judit annule ses deux parties contre le numéro un mondial, alors classé 2849. Une performance supérieure à tous ses rivaux (Karpov, Peter Leko, Alexei Shirov and Alexander Grischuk).
Victoire contre Kasparov (2002-2004)
Début 2002, Polgar remporte le tournoi international de Benidorm, en Espagne. Elle termine ex-aequo avec l'actuel champion du monde FIDE Ruslan Ponomariov qu'elle bat à l'issue d'un spectaculaire départage en blitz. On retrouve dans le rétroviseur de grands noms tels que Sergey Karjakin et Anatoly Karpov.
Sa carrière culmine en 2002 lors d'un match en cadence rapide entre la Russie et le reste du monde, où elle bat Garry Kasparov pour la première fois. C'est la première fois qu'une femme bat le numéro un mondial en partie classée. Une victoire qui fait l'effet d'une bombe. Kasparov abandonne et quitte rapidement la salle de jeu via une sortie dérobée, évitant les sollicitations médiatiques. Judit décrira cette partie comme "l'un des moments les plus remarquables de sa carrière".
Un an plus tard, elle réalise l'un des plus beaux tournois de sa carrière à Wijk aan Zee, terminant seconde derrière Viswanathan Anand sans enregistrer la moindre défaite. Là encore, elle laisse derrière elle les pointures de l'école russe : Evgeny Bareev, Alexander Grischuk, Vladimir Kramnik, Karpov et Ponomariov.
C'est à ce moment qu'elle entre dans le top 10 mondial.
Retour à la compétition (2004-2014)
Polgar met en pause sa carrière en 2004 puis 2006 pour donner naissance à ses deux enfants, un fils et une fille. Elle aura parfois plus de mal à performer à son niveau passé, mais continuera à démontrer un excellent niveau de jeu général.
Au tournoi de Wijk aan Zee 2005, l'un des plus forts de l'histoire, elle termine 4ème ex-aequo avec Alexander Grischuk, Michael Adams et Vladimir Kramnik. Elle participe également au championnat du monde 2005, mais termine dernière des huit engagés. En 2006, elle termine à la première place ex-aequo au tournoi d'Hoogeveen. Elle réalise un score de 3,5/6, gagnant deux fois contre le numéro mondial actuel, Veselin Topalov.
En 2010 et 2011, elle réalise d'autres performances de choix. Elle remporte notamment le tournoi quadrangulaire de Mexico avec un score 6/8, dominant Vassily Ivanchuk sur le score de 2,5 à 1,5 et Topalov par 3,5 à 0,5. La même année, elle affronte le jeune espoir tchèque David Navara en match, et l'emporte sur le score 6 à 2.
En 2011, elle réalise deux autres performances majuscules. Au championnat d'Europe, elle termine première ex-aequo et remporte la médaille de bronze aux départages. Ce tournoi figurait parmi les plus durs du monde, avec 393 joueurs engagés, dont 167 GMIs. Elle participe également à la Coupe du Monde, où elle atteint les quarts de finale avant d'être éliminée par le futur vainqueur Peter Svidler. Elle bat à cette occasion la tête de série numéro un du tournoi, Sergey Karjakin.
A l'olympiade 2012, Polgar réalise un score de 7,5/10 au troisième échiquier de l'équipe de Hongrie mixte pour une performance à 2744, sa meilleure depuis l'an 2000. La même année, elle bat Magnus Carlsen en rapide, ajoutant un grand nom sur sa liste de victimes. (Le norvégien obtiendra la couronne mondiale l'année suivante).
En 2013, elle bat Nigel Short sur le score de 17,5 à 10,5 à l'occasion du Death Match 18 organisé par Chess.com. Elle remporte notamment la portion blitz 3 minutes de manière convaincante (6 à 2). L'année suivante, elle remporte la médaille d'argent avec l'équipe de Hongrie mixte à l'Olympiade de Tromsø. C'est sur cette performance de haute volée qu'elle annonce tirer sa révérence de la compétition.
Elle sera ensuite pendant quelques années capitaine de l'équipe de Hongrie. Elle est aujourd'hui encore très active dans la communauté en tant que commentatrice, auteure et conférencière. Elle est notamment à l'origine de projets visant à introduire les échecs dans les écoles en tant qu'outil éducatif. En 2015, elle est décorée de la plus haute distinction pour une citoyenne hongroise, la grande croix de l'ordre de Saint-Etienne.
Héritage
Pour beaucoup, l'héritage de Judit Polgar se résume très simplement : elle est la plus forte femme à avoir jamais joué aux échecs, ni plus ni moins. Mais ce qu'elle a accompli pour la communauté dépasse largement toutes ces considérations.
A elle seule, elle a permis de faire tomber les barrières séparant les hommes et les femmes aux échecs. En outre, son style agressif et tactique a inspiré de nombreux joueurs, et plus encore de joueuses !
Il serait réducteur de la considérer uniquement comme la plus grande joueuse de l'histoire. Ses parties ont résisté au temps, et seront étudiés pour les décennies à venir. Généreuse sur l'échiquier comme dans la vie, elle continue à offrir au monde sa sagesse en tant que commentatrice, ambassadrice des échecs à l'école, auteure, et bien plus encore.