Vachier-Lagrave : la route pour les candidats devrait être aussi difficile pour tout le monde
Chess.com s'est entretenu avec Maxime Vachier-Lagrave afin qu'il dresse son bilan après une année difficile et finalement décevante pour lui. Le numéro un français parle de l'échec des candidats, de ce qui n'a pas fonctionné lors du processus de qualification et de la possibilité qu'Alireza Firouzja devienne un joueur français. Le contenu de l'entretien a pu été édité par endroit pour des raisons de clarté ou de longueur.
L'interview s'est déroulée via Skype le 2 janvier. Vachier-Lagrave était chez lui, à Paris où il habite dans le sixième arrondissement, à environ 20 minutes à pied de Notre Dame. Pour dire, il a vu les fumées s'élever depuis son appartement lorsque la cathédrale iconique a brûlé le 15 avril de l'année dernière.
Peu avant l'interview, MVL venait de terminer sa première session dans le Championnat du Monde de batailles de problèmes de Chess.com, auquel il prend part en compagnie de joueurs de haut niveau comme Peter Svidler, Hikaru Nakamura, Ray Robson et Firouzja.
"Il est clair que je n'ai pas ce qu'il faut pour battre ces gars", a déclaré Vachier-Lagrave, même s'il était encore dans le coup après la première journée de jeu et qu'il a résolu une série de 44 puzzles consécutifs. "Je ne m'attends pas à faire de grandes choses. Si je me qualifie, c'est déjà un gros résultat."
Vendredi, Vachier-Lagrave s'est qualifié pour les quarts de finale et participera à la phase finale comptant 8 joueurs ce samedi 4 janvier. Le direct commencera à 16 heures sur Chess.com/TV.
Le Championnat du Monde de batailles de problèmes a lieu jusqu'au 5 janvier. Vous pouvez suivre l'action en direct sur Chess.com/tv.
Une des sensations de cette première édition est le joueur grec Dimitrios Ladopoulos, classé 2253 FIDE, qui se révèle incroyablement doué à résoudre ces problèmes. Comment expliquer qu'un joueur amateur puisse surclasser dans cet exercice même les meilleurs grands maîtres ?
Maxime Vachier-Lagrave : Oui, c'est amusant. Je suppose que c'est gros un travail de mémorisation. Il a aussi probablement un coup d'œil fantastique et comme il sait qu'il existe une tactique dans la position, il la trouve prestement.
♚ Ladopoulos gets the high score of the day so far and almost breaks 50 at #PuzzleBattle! 🤯 pic.twitter.com/laBJpLYGWA
— Chess.com (@chesscom) January 2, 2020
Ladopoulos signe le meilleur score de la journée en frôlant la barre des 50 en Sprint de Problèmes !
De plus, un élément joue en sa faveur et aide considérablement si vous n'êtes pas si fort que ça aux échecs, il s'agit de l'augmentation croissante de la difficulté des problèmes. C'est d'abord très facile, puis il y a cette zone autour du 40ème où cela devient beaucoup plus compliqué mais ces problèmes là sont plus évidents à mémoriser et c'est comme ça qu'il fait. Si le niveau des problèmes était totalement aléatoire, il serait alors plus difficile de savoir à quoi s'attendre.
Quel est votre favori pour l'emporter ?
Ray [Robson] je suppose.
J'ai remarqué que vous participez à beaucoup d'événements sur notre site, davantage que la majorité des autres joueurs de haut niveau. Il y a bien sûr le Speed Chess Championship (tournoi de blitz/bullet à élimination directe échelonné sur l'année) et la Pro Chess League (compétition par équipe) mais aussi ces affrontements sur un échiquier géant avec Danny Rensch à St. Louis, les batailles de problèmes, plus récemment le show "adopter un Danny" et aussi notre tournoi d'échecs 960 (Fischer Random) il y a deux ans.
J'ai essayé d'autres variantes comme le blitz à 4, king of the hill (le roi de la colline), les jeu des trois échecs. c'est à chaque fois très divertissant.
La nouvelle du jour est le forfait de Ian Nepomniachtchi à Wijk aan Zee, éreinté, il préfère se concentrer sur la préparation aux candidats. Vous sentez-vous également fatigué après une de vos années les plus chargées ?
Oui, j'ai joué aux échecs pendant environ 130 jours l'année dernière, en grande partie à cause d'un calendrier totalement fou. C'est à la fois la FIDE et le Grand Chess Tour qui sont responsables de ne pas avoir organisé un seul de leurs tournois dans les quatre premiers mois. Cela signifie qu'à partir de la Croatie, fin juin, j'ai dû passer au maximum un mois et demi chez moi. J'ai libéré mon emploi du temps en octobre, mais à part cela je n'ai pas eu la moindre pause.
Je comprends que février est un peu tôt pour organiser les choses, mais mars et avril étaient assez libres et cela aurait été bien mieux si peut-être un Grand Prix FIDE et un ou deux événements du Grand Chess Tour de rapides et blitz avaient eu lieu dans cette période.
Il y a d'ailleurs eu un débat pour savoir si je devais prendre part au Grand Chess Tour. C'est l'un des événements où bien sûr vous êtes le mieux payé, mais ce n'est pas la question, c'est aussi la compétition où vous apprenez le plus parce que vous affrontez tous les meilleurs joueurs du monde.
Continuer d'apprendre fait donc partie de la motivation pour choisir un événement ?
L'apprentissage, l'expérience qu'il procure, le défi. Vous essayez de surclasser vos plus grands rivaux dans l'ouverture et tout ce qui s'ensuit, puis dans le jeu proprement dit. C'est assez difficile.
De toute façon, je n'avais pas l'impression de devoir faire l'impasse sur le Grand Chess Tour car je devais jouer à Abidjan et à Paris, deux tournois sponsorisés par Colliers et Vivendi - et en tant que joueur francophone, je me devais d'être présent. J'aurais donc pu dans l'absolu ne pas participer aux deux événements classiques à Zagreb et à Saint-Louis mais cela ne me semblait pas insurmontable.
Au début de l'année, vous aviez clairement indiqué que la qualification aux candidats était votre priorité numéro un. Si vous regardez en arrière, pensez-vous avoir commis une erreur à cet égard ?
C'est possible. Si je voulais vraiment optimiser mes chances au maximum, peut-être. Cependant, je ne pense pas que quiconque, à part Vladimir [Kramnik], qui prenait sa retraite, ait décliné l'invitation du Grand Chess Tour. C'est juste une décision trop difficile à prendre, surtout que tout le monde participe à certaines de ses étapes. J'ai senti que je pouvais le faire.
Je ne pense pas qu'il faille blâmer la FIDE pour tout mais j'estime qu'elle et le Grand Chess Tour auraient pu mieux se coordonner.
Deux fois, dans des émissions en direct du Grand Chess Tour, Garry Kasparov a critiqué la FIDE pour avoir annoncé les Grand Prix au dernier moment, même si depuis une dizaine d'années nous avons une série de Grand Prix tous les deux ans et en général avec la première étape en février. Les organisateurs du Grand Chess Tour auraient donc pu l'anticiper. Pourquoi pensez-vous que le calendrier a été si serré ?
Je ne pense pas qu'il faille blâmer la FIDE pour tout mais j'estime qu'elle et le Grand Chess Tour auraient pu mieux se coordonner. Le Grand Chess Tour s'est beaucoup développé cette année et quand j'ai vu le programme, j'étais un peu énervé. J'ai constaté que tout allait se télescoper dans un rythme infernal mais en même temps je dois dire que j'étais aussi excité par le défi.
En atteignant la finale en 2019, vous vous êtes directement qualifié pour le prochain Grand Chess Tour. Ils ont annoncé leurs événements mais pas encore de dates. Êtes-vous déçu ?
Je pense qu'il y a définitivement une place pour l'amélioration. Au tennis, nous connaissons le calendrier bien à l'avance, au moins pour que les tournois ne se gênent pas les uns les autres, du moins les principaux. Je trouve que cela devrait être le cas aux échecs pour éviter un tel chaos.
Parlons de l'Open Isle of Man FIDE de Chess.com. Tout d'abord, que pensez-vous de l'idée d'organiser un événement au système suisse dans le cadre du cycle des Championnats du Monde ?
Je pense que c'est en fait une épreuve épreuve intéressante et qu'elle peut servir de moyen de qualification à condition de ne pas délivrer qu'un seul ticket pour les candidats. Avec une seule place, cela devient très aléatoire et des joueurs comme moi ne vont pas participer, surtout avec un emploi du temps aussi chargé. Cependant, si vous proposez plus de tickets qualificatifs... deux ne suffisent probablement pas, mais trois devraient être un bon compromis. Avec trois places, vous êtes sûr que tous les meilleurs joueurs vont s'aligner et cela limite aussi les arrangements. Je ne pense pas qu'il y ait eu de tels procédés cette année mais avec un enjeu pareil, ce n'est pas impensable, c'est déjà arrivé par le passé. C'est d'ailleurs l'un des problèmes du système suisse par rapport à celui à élimination directe où les arrangements avec les adversaires sont impossibles.
Le élo moyen sur l'année ne fonctionne pas.
Une autre façon de se qualifier pour les candidats était par le biais du élo moyen des listes de février 2019 à celles de janvier 2020. Vous avez terminé juste derrière Anish Giri, qui a obtenu la place car le plus performant Ding Liren a glané son sésame à la Coupe du monde. Que pensez-vous de ce moyen qualificatif pour les candidats ?
Nous ne l'avons pas tant ressenti en 2017 parce que les résultats étaient normaux, et cette année nous ne l'aurions pas ressenti si c'était Ding qui s'était qualifié par ce biais, mais le élo moyen est une aberration mathématique. Si vous commencez l'année avec un classement plus élevé, vous pouvez avoir de moins bons résultats ou les mêmes et terminer devant. Disons qu'Anish a eu plus ou moins le même rendement que moi parce qu'il a commencé l'année en janvier avec trois points de plus et maintenant nous sommes classés pareil donc fondamentalement nous avons eu la même TPR [évaluation de la performance du tournoi, ou dans ce cas-ci l'évaluation de la performance sur la période donnée - PD] et pourtant en septembre il n'y avait absolument aucune chance que je puisse le rattraper. Notre performance sur l'année était pourtant similaire, cela n'a donc pas grand sens.
Et vous avez tous les deux joué relativement peu aux échecs pendant les deux premiers mois de l'année, qui sont les mois qui pèsent le plus lourd dans ce système.
Exactement.
Alors que suggérez-vous ?
Je pense que la TPR est déjà bien meilleure et pour être honnête, je crois que Leinier Dominguez est premier dans ce domaine. Je ne sais pas si le TPR est la meilleure façon de sélectionner un candidat mais c'est définitivement bien plus logique que la moyenne élo. Avec le système actuel, prenons un autre exemple significatif, disons que vous avez deux joueurs 2780 au début de l'année - sans tenir compte de la limitation du nombre de parties mais juste pour être schématique - si l'un joue un seul tournoi en février et gagne 15 points et l'autre joue son unique tournoi en décembre et gagne 50 points, ce dernier sera complètement écrasé par le premier. C'est totalement illogique.
Comment est-il possible qu'une telle incohérence persiste ?
Si les gens ne font pas attention, il est possible de faire ce genre d'erreurs. Le fait est que nous n'avons pas été consultés, ce qui est bien, c'est que maintenant j'ai pu partager mon point de vue et j'espère qu'au moins il sera pris en considération.
Et ce qui ne vous a pas aidé, c'est que Giri s'est retiré de l'Open FIDE Isle of Man, ce qui était en fait une rupture de contrat. Autant que je sache, le conseil présidentiel de la FIDE n'a toujours pas pris de décision à ce sujet, ou du moins ne l'a pas publiée.
Oui, c'est étrange, car ils ont annoncé qu'ils prendraient une décision en décembre. Si je devais exprimer mon opinion personnelle, il devrait y avoir une amende substantielle, juste pour éviter toute répétition et aussi par respect pour les organisateurs. À l'époque, j'ai attendu la date limite pour signifier ma décision concernant l'Isle of Man, cela coïncidait avec le début du Grand Prix de Riga. Si j'avais été éliminé au premier tour là-bas, j'aurais joué à l'Isle of Man, mais comme je suis passé j'ai décidé de prendre ce risque.
En fait, je n'ai pas encore fait cette remarque, mais ajouter un autre événement cette année m'a semblé trop - même s'il est très intéressant. Il est injuste que je ne puisse pas raisonnablement jouer à l'Isle of Man et ainsi que mes chances de qualification soient diminuées.
Quoi qu'il en soit, j'ai donc opté pour cette impasse surtout après avoir eu à jouer une Coupe du Monde si éprouvante un mois durant, je ne me voyais pas revenir une semaine plus tard et ne pas distribuer un bon nombre de points élo.
Pour être honnête, je pense qu'il devrait y avoir une sanction financière, à titre d'exemple pour toute personne qui serait tentée d'agir ainsi.
Par principe, tous les joueurs auraient dû être traités de la même façon. On a demandé à tout le monde de renvoyer le contrat avant une certaine date ou de ne pas le faire en cas de non-inscription. Alors vous devriez vraiment être en mesure de justifier votre retrait si vous décidez de ne pas jouer. Je pense qu'Anish n'a pas été le seul à se retirer, je crois que Dominguez l'a fait et d'autres. Je pense qu'il devrait y avoir une sanction financière, pour être honnête, à titre d'exemple pour toute personne qui serait tentée d'agir ainsi. En fait, j'ai été invité après la Coupe du Monde à participer à la compétition, mais il était évident que je ne pouvais pas inclure un tournoi de plus à mon programme, car j'avais besoin de me reposer et de me préparer pour mes prochains événements.
Vous avez également critiqué ce match pour la troisième place de la Coupe du Monde, en disant qu'en dehors de la différence relativement faible en termes d'argent, il s'était joué pour rien. Cependant, à l'époque, cela semblait tout à fait pertinent car une troisième place pouvait donner l'éligibilité à la wild card, votre critique était-elle justifiée ?
Je pense que cela serait très pertinent si, par exemple, Magnus [Carlsen] ou Fabiano [Caruana] participaient à la Coupe du Monde, car cela pourrait décider des qualifications. Disons que l'un d'entre eux joue mais n'atteint pas la finale, ça n'a pas d'importance, vous n'allez pas tout changer en plein milieu du tournoi. Vous n'allez pas dire : si l'un d'entre eux atteint la finale, nous allons jouer le match pour la troisième place. C'est bancal. Mais ici, nous savions que ce ne serait pas décisif et je pense que la première façon de résoudre ce problème est simplement de décider que les deux demi-finalistes en ont fait assez pour montrer qu'ils méritent d'être éligibles à la wildcard et de ne pas leur faire subir un autre match d'une semaine. Surtout quand une semaine plus tard, a lieu l'Isle of Man.
Je vais être honnête, je ne pense pas que cela aurait changé ma décision de jouer à l'Isle of Man, mais cela aurait fait passer d'un pourcentage de zéro à environ 10 % les chances que je me présente là-bas parce que j'aurais eu plus de temps pour me reposer. Aussi, au regard des prix proposés par la FIDE pour ce tournoi il faut bien reconnaître que c'était un événement très excitant. Il aurait été logique de s'assurer que les joueurs bénéficient des meilleures conditions d'inscription et l'ajout d'une charge d'une semaine supplémentaire au calendrier était superflu. Je maintiens donc mon point de vue : une fois que nous avons su qu'il n'aurait pas de réel impact pour les candidats, le match pour la troisième place a perdu tout son sens.
Êtes-vous d'accord que Magnus et Fabiano n'auraient pas dû être autorisés à jouer dans l'Open Isle of Man ?
Au début, je pensais que ça n'aurait pas d'importance, mais en fait, c'est le cas. En réalité, même pour la Coupe du Monde, ils ne devraient pas être autorisés à jouer. Nous n'aurions même pas besoin de penser au match pour la troisième place et nous pourrions l'effacer de nos mémoires. Ceci dit, de leur point de vue, c'est aussi un peu spécial parce que, par exemple, la Coupe du Monde est un événement très amusant que vous pourriez vouloir jouer quoi qu'il arrive, donc je n'en suis pas si sûr. Mais oui, c'est un peu étrange de faire partie du processus de qualification alors que vous êtes déjà qualifié ou que vous n'avez pas besoin de vous qualifier parce que vous êtes champion du monde.
Quel regard portez-vous sur les Grands Prix comme moyen de qualification ?
C'était un système équitable. Je pense que l'idée de passer au format à élimination directe était intéressante. Bien sûr, d'une certaine façon, cela a participé à rendre le rapide et le blitz très dominants dans le cycle car ils sont aussi primordiaux à la Coupe du Monde, ce qui équivaut au total à quatre places. De plus, je pense que les points de bonus étaient une bonne chose mais qu'ils avaient trop de valeur.
Cela s'est révélé à mon avantage cette fois-ci car j'ai gagné la plupart de mes matchs avec le bonus. Peut-être que [Alexander] Grischuk en a obtenu autant, je ne me souviens pas vraiment mais j'estime que cela devrait être réduit mais pas supprimé parce que bien sûr, ils constituent une incitation à se battre avant les départages.
Beaucoup de gens ont été surpris (en pensant) qu'avec ma lettre ouverte, je demandais la wild card. Ce n'était pas là ma démarche.
Cela m'amène à un dernier point que je n'avais pas encore abordé même si c'est évident. Beaucoup de gens ont été surpris, [en pensant] qu'avec ma lettre ouverte, je demandais la wild card. Ce n'était pas le cas. Rien ne garantissait que j'aurais gagné ce match avec Alekseenko.
Je peux imaginer les gens l'interpréter de cette façon. Vous disiez essentiellement qu'au départ, les Russes étaient heureux de s'assurer un représentant mais qu'une fois que deux joueurs russes s'étaient qualifiés, la nécessité d'en avoir un troisième était superflue.
Peut-être que c'était mal formulé, l'idée est que j'aurais été heureux de jouer pour la mériter. Je n'ai pas écrit cette lettre ouverte avec l'espoir d'obtenir le droit de disputer un match. Je savais que c'était très peu probable, mais je ne pouvais pas non plus rester silencieux devant les rumeurs qui avaient été créées.
Je méprise la wild card. Dans mon esprit cela signifiait demander l'organisation d'un match dans la mesure du possible.
Je comprends que la fédération d'échecs russe veuille un autre joueur russe, c'est logique pour eux. Il n'y a rien de mal à utiliser la wild card de cette façon, j'estime juste qu'elle ne devrait pas exister. C'est pourquoi je ne demandais pas la wild card, je méprise ce procédé. Dans mon esprit, cela signifiait demander l'organisation d'un match dans la mesure du possible.
Un argument souvent avancé en faveur de la wild card est qu'elle peut contribuer à trouver un sponsor.
Je pense que les membres du bureau de la FIDE travaillent dur pour obtenir de nouveaux sponsors et accords pour rendre les échecs plus populaires et je trouve qu'en général les échecs le sont beaucoup plus qu'il y a cinq ans, ou peut-être même dix, il y a donc de la place pour se débrouiller sans wild card. Je sais qu'à un moment donné, certaines personnes ont essayé de pousser à une candidature française pour accueillir les candidats. Je leur ai dit clairement que s'ils voulaient organiser ce tournoi en France, c'était très bien, mais qu'ils devaient le faire pour rendre les échecs plus populaires dans notre pays et non pas pour me donner un joker.
Avant de quitter le sujet de la wild card, je me demandais pourquoi vous étiez si critique quand la fédération d'échecs russe a annoncé sa décision de choisir un joueur russe via un éventuel mini-tournoi.
Le timing était ridicule. L'annonce a été faite pendant le Grand Prix de Hambourg. Je pense qu'ils avaient le droit de le faire grâce à l'absence de règle, mais cela devrait changer, il faudrait impérativement attendre la fin du cycle, au moins par respect pour les participants. J'ai compris qu'il était probable qu'un russe soit choisi, mais par exemple nous ne savions pas qu'ils allaient faire un match entre tous les russes impliqués. En général, par respect pour les participants du cycle en cours, on attend que le cycle soit terminé. De cette façon, vous êtes certain de ne pas influencer les résultats. Vous distribuez une place donc vous avez déjà un impact sur les candidats. Pourquoi l'influencer davantage ? C'était vraiment agaçant.
Allez-vous tout de même suivre les candidats ?
Oui, ce sera amusant à regarder. Bien sûr, ce sera un peu triste de ne pas y être bien que je pense en avoir fait assez cette année pour mériter une place mais c'est une autre histoire. Dans le sport, cela ne se passe pas toujours comme l'on voudrait.
La programmation du calendrier a rendu les choses beaucoup plus difficiles pour moi que pour les autres.
C'est effectivement un point soulevé par beaucoup de gens. D'un côté, vous êtes de loin le joueur le plus fort à ne pas s'être qualifié, vous avez été le premier non qualifié à la Coupe du monde, aux Grands Prix et à la moyenne élo. D'un autre côté, à chaque fois que vous avez eu l'occasion de valider votre ticket vous avez échouez au dernier moment.
C'est vrai et voici pourquoi ce n'est pas vraiment juste, je trouve que la programmation du calendrier a rendu les choses beaucoup plus difficiles pour moi que pour les autres. Avec le planning que j'avais, bien sûr, à la fin des tournois, et pas seulement les tournois qui comptaient mais toute sorte de tournois, comme le Grand Chess Tour de Paris que j'ai gagné, j'ai fini de façon horrible. A Saint-Louis, dans la portion classique, j'ai aussi terminé de façon horrible. C'était donc essentiellement une question de fatigue physique et cette fatigue physique est apparue à la fin des tournois. Cela pouvait aussi rejaillir sur ma fatigue mentale et sur ma capacité à me battre au mieux de mes capacités. Donc oui, j'ai raté quelques balles de matchs mais il est clair que le calendrier ne m'a pas aidé.
Mais n'était-ce pas la même chose pour les autres joueurs aussi présents dans le Grand Chess Tour ? Ian Nepomniachtchi, Shakhriyar Mamedyarov, Levon Aronian, Sergey Karjakin, Anish Giri... ?
Je pense que nous avons tous souffert cette année. Tout d'abord, ni Shakhriyar ni Levon ne se sont qualifiés. Anish a réussi à être éliminé de tous les Grands Prix assez tôt. [Sourires.] Nepo a également été très sollicité avec un emploi du temps surchargé, il est donc clair qu'il mérite sa qualification. Cependant, de tous les joueurs que nous mentionnons, je crois que seul Levon a participé à l'Isle of Man et cela souligne encore une fois le problème que j'ai soulevé précédemment sur la surcharge du calendrier avec l'ajout de cet événement.
Il a été suggéré par le passé que pour sélectionner les huit joueurs pour les candidats, à l'exception du champion du monde, nous devrions utiliser un système plus simple, par exemple huit places basées sur le classement (moyen), ou la TPR.
Je doute que ce soit la bonne façon de procéder. C'est bien que nous ayons des tournois de qualification, simplement il y en a trop. J'aime les trois biais qualificatifs excepté l'Open avec une seule place attribuée.
Pensez-vous que la FIDE devrait s'adresser plus souvent aux meilleurs joueurs et recueillir leur avis ?
Oui, mais je pense aussi, et je parle d'expérience, que nous avons notre part de responsabilité dans le fait que nous ne sommes pas toujours disponibles pour répondre aux requêtes ou autres. Je suis motivé à faire entendre mon opinion mais ce n'est peut-être pas le cas de tous les joueurs. Je pense qu'ils ont d'autres choses à faire et je peux parfois comprendre cela. J'estime que nous pourrions être écoutés sur certains sujets. Notre opinion découle de notre expérience et nous en avons plus que la plupart des membres de la commission des Championnats du Monde.
Il n'y a pas d'autre façon de le dire : au final, vous n'avez tout simplement pas réussi à vous qualifier. Y a-t-il un moment de l'année dernière que vous regrettez le plus ?
C'était plutôt tout le processus car même dans ce dernier match contre Ian, j'ai manqué quelques occasions, surtout une de riposter, mais à ce moment-là, ma tête ne fonctionnait manifestement plus, mon cerveau était éteint. Je n'aurais pas pu faire grand-chose de plus en général. C'était la même chose en Coupe du Monde, mon cerveau s'est déconnecté l'espace de 10 minutes et cela a suffi, même le match contre Yu Yangyi était douloureux à regarder et je pense que c'était le cas pour les deux joueurs, la fatigue s'en est mêlée. La Coupe du Monde constituait la fin d'un marathon de quatre mois.
Est-ce que vous expliquez que Levon a raté la victoire contre vous de la même façon ?
Ouais, clairement. Je pense qu'on a tous eu un emploi du temps très chargé. Certaines des erreurs que nous avons faites s'expliquent par la tension bien sûr, mais surtout par la fatigue physique, beaucoup plus impactante que celle mentale. On n'arrive pas au sommet quand nos ressources mentales sont épuisées c'est certain.
Vous faites des exercices physiques ?
Normalement j'essaie mais cette année, c'était juste impossible.
Si je veux m'améliorer, me qualifier pour les candidats et avoir une chance de gagner, je dois être au niveau de Ding et ce n'est pas une tache facile.
La FIDE peut tirer des leçons des erreurs qui ont été commises. Quels enseignement tirez-vous à titre personnel de 2019 ?
Il est clair qu'il y a des leçons que je peux retenir, des moyens de m'améliorer parce que, encore une fois, je peux me plaindre de la façon dont certaines choses ont été faites et à juste titre, mais je n'ai pas été assez bon cette année pour y arriver. Par exemple, Ding s'est clairement qualifié au élo mais il est aussi parvenu à atteindre la finale de la Coupe du Monde et même deux fois de suite. Je n'ai donc pas été assez bon pour rendre évitables toutes les aléas de cette année. J'ai clairement moins bien joué que Ding. Si je veux m'améliorer, me qualifier pour les candidats et avoir une chance de gagner, je dois être au niveau de Ding et ce n'est pas une tâche facile. C'est pourtant le genre d'objectif je devrais viser si je ne veux pas dépendre d'événements extérieurs.
Qui est votre favori pour gagner les candidats ?
C'est un événement où le niveau de jeu compte tellement, qu'il y a deux favoris, Ding et Caruana. Cependant, beaucoup d'éléments circonstanciels peuvent se produire et selon le déroulé du tournoi tout est possible, vous savez, un joueur peut très bien connaître un rush. Ce n'est qu'un tournoi après tout, même s'il dure 14 rondes. Je miserais tout de même sur l'un des deux contre le reste du plateau mais pas par une grande marge.
Et qu'en est-il d'Alekseenko?
Je ne pense pas qu'un des joueurs ait volé sa place, pour ainsi dire. C'est juste que certains d'entre eux ont eu un chemin plus facile que d'autres vers les candidats et c'est en gros ce qui me semble injuste. Le chemin vers ce tournoi devrait être aussi difficile pour tout le monde. C'est peut-être le point principal que je voulais faire valoir.
Passons à autre chose. Alireza Firouzja essaie de changer de fédération et la rumeur court qu'il pourrait jouer pour la France, où il vit. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Un tel changement coûte 50 000 euros et je ne pense pas que la fédération française des échecs ait cet argent mais je pourrais me tromper. En réalité, pour un joueur de ce calibre, du moins de ce potentiel, soyons honnêtes : 50 000 euros, c'est une bagatelle. Il a clairement le potentiel pour devenir champion du monde et il vit déjà en France.
La possibilité d'avoir une équipe plus forte est en fait une nouvelle assez excitante, Je ne sais pas si je ferai partie de l'équipe olympique aux Olympiades de Moscou, ce n'est pas clair pour le moment, il y a quelques problèmes entre la fédération et moi. Cependant, de manière générale, c'est assez excitant qu'Alireza puisse jouer sous nos couleurs. Il doit néanmoins avoir d'autres offres donc je ne sais pas ce qu'il décidera au final, mais ce serait bien de l'avoir dans notre équipe.
Il montre des choses dans son jeu et son attitude qui me rappellent Magnus.
Il est intéressant que vous le considériez déjà comme un champion du monde potentiel car ses succès ne s'étendent que sur une dizaine de mois. N'est-il pas trop tôt pour lui prédire un tel avenir ? Que voyez-vous en lui que les autres joueurs n'ont pas ?
Il montre des choses dans son jeu et son attitude qui me rappellent Magnus. La façon dont il traite les choses sur l'échiquier, sa vision du jeu et comment il place ses pièces, ça me fait immanquablement penser à Magnus. Bien sûr, le chemin à parcourir est encore long et ça ne sera pas automatique mais s'il continue de progresser de la sorte, il ira certainement au sommet.
Est-ce que vous voyez cela dans ses parties classiques ou davantage dans les parties plus rapides ?
On le ressent encore plus dans les rapides, je l'ai senti en le regardant jouer à Moscou.
Avec lui et vous dans l'équipe, plus Maxime Lagarde qui a encore une marge de progression, la France pourrait-elle se mêler à la lutte pour les médailles ?
N'oubliez pas Bacrot et Fressinet. Par exemple, Bacrot est un solide second ou troisième échiquier et pour l'instant il a toujours sa place dans une équipe qui pourrait se battre pour une médaille ou mieux mais évidemment pas au premier échiquier. Il a l'expérience pour pouvoir s'intégrer dans cette équipe.
Maxime Lagarde a connu un développement intéressant récemment. Il a encore beaucoup de chemin à faire mais il s'est très bien débrouillé cet été. Il a quelques petites choses à améliorer. Il est jeune, il n'a commencé à prendre les échecs au sérieux que récemment en raison de ses études. Je pense qu'il a le potentiel pour devenir 2700. Avec Firouzja dans l'équipe nous pourrions jouer les premiers rôles, nous ne serions pas favoris mais nous viserions une médaille.
La France m'apparaît toujours comme une des équipes avec un fort lien fort entre ses joueurs, vous semblez tous être de bons amis. Vous vous voyez aussi beaucoup en dehors des échecs ?
En général, oui. mais cela dépend. Nous ne nous voyons pas toujours tous ensembles aussi souvent, mais nous nous entendons très bien et si nous nous retrouvons dans les mêmes tournois, nous aimons passer du temps ensemble et jouer à toute sorte de jeux. Il est évident que l'atmosphère de l'équipe de France est particulière.
Il n'existe pas de grande rivalité, ce qui aide. En fait, je ne sais pas ce qui se passerait si Firouzja devenait français et que nous développions une sorte de rivalité. Pour être honnête cela me semble improbable, il a 13 ans de moins que moi, donc j'ai, au mieux, disons six ans pour rivaliser avec les meilleurs. Je ne pense pas que je serai dans le top 10 à 50 ans comme Vishy [Anand] mais je ne demande qu'à me surprendre moi-même sur ce coup-là !
Nous pourrions donc être rivaux, mais pour un temps limité et j'estime que la plupart des rivalités sont assez saines si les gens sont raisonnables. Je sais qu'il y a eu des tensions aux États-Unis, mais ils ont réussi à s'en sortir et à remporter les Olympiades.
L'esprit d'équipe et le plaisir de jouer est important pour moi. Si vous n'en prenez aucun à participer aux Olympiades alors il n'y a aucune raison d'y prendre part. En plus de l'esprit d'équipe, il faut aussi des joueurs très forts, je ne vois donc pas de raison à une rivalité entre Firouzja et moi, ce sera probablement plutôt une coopération, jusqu'à ce que nous nous rencontrions bien sûr pour des défis individuels. Je ne vais pas défendre mon territoire, essayer d'être méchant ou autre, ce n'est tout simplement pas dans mon caractère.
Je voulais aussi mentionner le fait que vous avez votre propre site web, et que vous tenez un blog. Plusieurs joueurs de haut niveau ont un site web, mais peu d'entre eux le mettent à jour régulièrement. Est-ce que cela fait partie de votre sponsoring ?
En fait, non. Je sens que c'est bien que je puisse exprimer mes pensées de cette façon. C'est d'ailleurs en critiquant ce match pour la troisième place que j'ai entamé cette discussion avec les officiels de la FIDE. C'est une bonne façon d'exprimer mes opinions et de partager mes réflexions avec le monde des échecs et, je l'espère, d'améliorer les choses non seulement pour moi mais aussi pour le monde des échecs en général, de le rendre plus amusant à suivre et ainsi de suite.
Quels sont vos plans pour 2020?
Je joue à nouveau en Pro Chess League et mon premier match est pour bientôt. Je participerai encore au tournoi de Gibraltar, au Norway Chess et potentiellement au Grand Chess Tour mais je n'ai pour l'instant pas d'autre engagement. Je vais essayer de conserver un calendrier réduit pour peut-être aussi améliorer ma condition physique et être davantage prêt pour le prochain cycle.