Tata Steel Chess 2022 R8 : Mamedyarov rattrape Carlsen avant la journée de repos

Magnus Carlsen et Shakhriyar Mamedyarov partagent la première place après huit rondes au Tata Steel Chess Tournament 2022. Bonne nouvelle : ils se rencontreront à la ronde 9, juste après une journée de repos bien méritée.

Anish Giri et Vidit Gujrathi ont également tous les deux remportés leurs parties et pointent à une demi-longueur des leaders.

Une demi-heure avant le début de la ronde, la bonne nouvelle tombait : Les deux tests covid réalisés sur Daniil Dubov s'étant avérés négatifs, le GMI russe pouvait jouer sa partie contre Jan-Krzysztof Duda sans masque, comme au début du tournoi.

Après l'ouverture, la partie semblait se diriger vers la nulle, mais quelques imprécisions forçaient le russe à liquider dans une finale de tours avec un pion de moins. Bien qu'il existe des exemples pratiques de gain noirs dans des positions très similaires, Duda n'obtenait jamais de réelles chances, son adversaire trouvant un excellent arrangement de pions sur l'aile roi. Très instructif !

Mamedyarov et Praggnanandhaa étaient censés se jouer aux Masters de Gibraltar en 2020, mais le grand-maître azéri, souffrant, avait du déclarer forfait. Il s'agissait donc de leur toute première rencontre, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle ne se passait pas bien pour le jeune indien.

Pragg se sortait bien de l'ouverture, mais commençait à perdre pied dès le 10ème coup. Cette anglaise peu orthodoxe avec le rare coup 4.Da4 semblait mieux convenir à son aîné, qui aurait pu gagner la finale plus rapidement, mais n'a jamais semblé relâcher le contrôle de l'échange.

"Objectivement, ce n'est pas un très bon coup, mais il est intéressant pour essayer de jouer pour le gain." a commenté l'azéri à propos de 4.Da4. D'après lui, la position était déjà "complètement gagnante" dès le onzième coup.

Il niait changer son style face à des joueurs plus jeunes : "Mon style n'est pas facile à changer. A chaque fois, je veux jouer une partie intéressante, et qu'il y ait du combat !"

Après avoir fait nulle il y a trois ans à Wijk aan Zee, Sam Shankland et Magnus Carlsen repartaient à nouveau avec un demi-point chacun, ce qui permettait à Mamedyarov de rejoindre le champion du monde en tête du tournoi.

Bien que la position séchait rapidement, la partie Shankland-Carlsen reste intéressante pour sa phase d'ouverture. Magnus jouait pour la première fois de sa carrière le gambit Schara-Hennig, une ligne de la variante Tarrasch du gambit dame refusé popularisée dans la première moitié du 20ème siècle pour l'amateur viennois Anton Schara et l'officier de marine allemand Heinz von Hennig.

Le gambit Schara-Hennig survient après les coups 1. d4 d5 2. c4 e6 3. Nc3 c5 4. cxd5 cxd4.

Seuls deux champions du monde avaient déjà tenté ce gambit en tournoi : Alexandre Alekhine et Boris Spassky. Le premier a eu le courage de le jouer alors qu'il était déjà champion, en 1931, tandis que le second avait l'excuse de la jeunesse, ne l'utilisant plus après 1956 !

"Je ne m'y attendais pas du tout" a résumé Shankland. "Sinon, je n'aurais pas aussi mal joué l'ouverture !"

Carlsen récupérait rapidement le pion sacrifié avec la paire de fous en sus, et à ce stade, l'américain se déclarait "déjà pas très à l'aise". Cependant, lorsque son adversaire prenait du fou en c3, Shankland pouvait s'activer un peu. Le norvégien ne parvenait ensuite pas à éviter l'inéluctable liquidation.

Vidit et Nils Grandelius avaient annulé lors de leurs quatre précédentes confrontations, mais le GMI suédois n'est pas aussi affuté sur ce tournoi qu'il le faudrait face à un Vidit ultra agressif.

L'indien était satisfait de son ouverture (6.g4 9.Cf5) et ajoutait que les noirs devaient faire preuve de précision pour égaliser, ce que Grandelius ne parvenait pas à faire. Vidit n'exploitait cependant pas le potentiel de sa position à plein, mais l'issue s'en trouvait inchangée.

"Je savais que j'étais mieux, mais j'avais tellement d'options qu'il n'était pas facile de sélectionner le meilleur coup."

Deux fois, le coup ...Ff5 aurait pu résoudre les problèmes noirs, mais cette ressource restait dans un angle mort pour le numéro 1 suédois.

Giri et Andrey Esipenko s'affrontaient pour la troisième fois, après une victoire côté hollandais en 2017 et une nulle l'année passée dans ce même tournoi. Cette fois, Giri parvenait à nouveau à s'imposer, marquant un point crucial. Avec cette troisième victoire de suite, le batave n'est plus qu'à un demi-point du groupe de tête.

Les deux grand-maîtres proposaient une partie italienne relativement théorique qu'Anish avait déjà joué trois fois avec les pièces blanches, mais jamais avec les noires. Ce n'est qu'au 20ème coup que le russe déviait d'une partie par correspondance, et une finale cavalier contre trois pions était bientôt sur l'échiquier.

"On retrouve cette finale dans de nombreuses lignes de cette variante" expliquait Giri, qui la recommandait justement dans un cours en ligne récemment. "J'avais déjà vu ce genre d'idée. En règle générale, si j'échange les bonnes pièces et que les blancs ne me sautent pas à la gorge par Cg4-Tag1, je suis en sécurité sur le long terme. Je n'étais pas sûr de pouvoir jouer pour le gain, mais c'était déjà une bonne chose de pouvoir se poser la question !"

Plus les pièces s'échangeaient, plus la position devenait plaisante pour le numéro un hollandais, qui jouait effectivement pour deux résultats. Il terminait cette démonstration positionnelle par une jolie note tactique.

La partie du jour, par le GMI Dejan Bojkov

Après deux nulles dans ce même tournoi en 2020 et 2021, Fabiano Caruana et Jorden van Foreest partageaient à nouveau le point après avoir joué une ouverture intéressante. Le hollandais suivait les traces de son illustre prédécesseur, le cinquième champion du monde Max Euwe, grand joueur d'espagnole, tout comme son propre secondant Sipke Ernst.

Pour cet affrontement face au numéro 4 mondial, les deux bataves avaient préparé la vieille variante Dilworth (jamais jouée par Euwe, au passage !), qui tient son nom d'un joueur anglais par correspondance, Vernon Dilworth. Les noirs y donnent deux pièces mineures contre une tour et un pion, obtenant un très beau centre. Une ligne connue pour être relativement spéculative, mais rendu jouable par l'analyse des moteurs modernes.

Au 15ème coup, Van Foreest déviait d'une partie en ligne de l'année passée entre Carlsen et Mamedyarov, mais restait dans les clous d'une partie par correspondance. Les noirs ayant égalisé, Caruana décidait de répéter les coups, ce que son adversaire acceptait rapidement.

Classement Masters après la ronde 8

Après avoir "lâché" un demi-point lors de la ronde précédente, Arjun Erigaisi reprenait son implacable marche en avant dans le tournoi Challengers. Cette fois, son adversaire lui donnait un coup de pouce inattendu, victime qu'il était de la règle canonique du "pièce touchée, pièce à jouer" !

Erigaisi expliquait après la partie : "En fait, il voulait jouer 13...Fb4 au lieu de 13...Ff6, mais il s'avère que c'est une gaffe à cause 14.Fxg7. Il l'a réalisé après avoir touché son fou, et a donc du le jouer. A ce stade, ma position était déjà bien meilleure."

Le GMI indien réalise une performance flirtant avec les 2900, surpassant tous les joueurs du tournoi Masters. Modeste, il se disait simplement "content".

Une partie à ne pas manquer : celle du GMI belge Daniel Dardha, qui réalisait une superbe combinaison permettant de mater à l'étouffée.

Il déclarait : "Après Da4, j'ai tout de suite remarqué que sur une coup défensif normal tel que 19...Cb8, j'avais ce thème de mat à l'étouffé. C'était très sympa de pouvoir le jouer en vrai !"

Classement Challengers après la ronde 8

Toutes les parties de la ronde 8

Précédemment :

• Tata Steel Chess 2022 R7 : Carlsen prend la tête, Dubov forfait
• Tata Steel Chess 2022 R6 : Carlsen rejoint les leaders, Caruana gaffe
• Tata Steel Chess 2022 R5 : Mamedyarov et Rapport rejoignent Vidit
• Tata Steel Chess 2022 R4 : Mamedyarov et Praggnanandhaa en buteurs
• Tata Steel Chess R3 : Vidit défend avec brio et s'échappe en tête
• Tata Steel Chess R2 : Carlsen ouvre son compteur, Rapport bat Van Foreest
• Tata Steel Chess R1 : Duda, Van Foreest, Vidit démarrent fort