Pas de départages : Carlsen, Caruana et Aronian remportent tous la Sinquefield Cup
Il devait y avoir un départage à deux. Puis un départage à trois. Puis, finalement, pas de départage du tout.
Après une folle journée de compétition à la Sinquefield Cup 2018, Levon Aronian, Magnus Carlsen, et Fabiano Caruana ont tous les trois été déclarés vainqueurs.
Voilà qui ne souffre aucune discussion.
Après qu'Aronian ait battu Alexander Grischuk grâce à un sacrifice de qualité aussi spéculatif qu'ambitieux, que Carlsen ait dominé Hikaru Nakamura dans une finale déjà vue et que Caruana ait annulé sans problème avec les noirs contre Wesley So, les trois anciens vainqueurs se retrouvaient premiers ex æquo avec 5,5/9.
Hikaru Nakamura a grimacé quelques minutes avant de concéder la victoire à Magnus Carlsen. | Photo : Mike Klein/Chess.com.
Les trois hommes se sont donc partagé les gros points pour le compte du Grand Chess Tour (ce qui n'avait aucune incidence pour l'invité Carlsen), et il en fut de même pour l'enveloppe des prix. Quand au trophée et au titre, le règlement précise que des départages doivent séparer les deux premiers, sans mentionner un éventuel troisième.
Ce fut le nerf du problème : Les trois joueurs ayant fait peu ou prou le même tournoi (en annulant notamment leurs rencontres respectives), avec le même nombre de victoires (deux) et de victoires avec les noirs (zéro). Selon la règle 2.1.4, le quatrième biais de départage était un tirage au sort.
Carlsen et Aronian refusèrent de laisser le hasard décider de leur sort, et proposèrent un départage à trois.
Mais Caruana, déjà parti, avait auparavant décliné l'option. Selon les officiels du Grand Chess Tour, un tel changement de règlement ne pouvait se faire qu'en cas d'unanimité des trois prétendants.
Face à cet état de fait, Carlsen et Aronian en vinrent à une conclusion simple : la meilleure solution serait de ne pas jouer de départages et de partager le titre. Caruana confirma son accord, entérinant le consensus.
Après un coup de fil à l’arbitre en chef du tour, David Sedgewick, les officiels acceptèrent de supprimer les départages. Fin du tournoi.
Revivez la scène de l'intérieur grâce à la vidéo ci-dessous :
Watch The Players Discuss Tiebreaks At The Sinquefield Cup from Chess on www.twitch.tv
Mais ce n'est pas fini !
Levon Aronian a déjà joué des départages dans le monde entier ! | Photo : Mike Klein/Chess.com.
En effet, Caruana devait de toutes façons jouer un play-off demain, car il a terminé la saison régulière du Grand Chess Tour à égalité avec Wesley So. Une bonne raison pour Caruana de refuser le départage de la Sinquefield pour ce concentrer sur celui du Tour, et un facteur qu'Aronian ignorait lors des négociations !
Voici le classement final, actant les qualifications de Nakamura, Aronian et de Maxime Vachier-Lagrave. Ils retrouveront à Londres le vainqueur du match de départage Caruana-So.
On comprend donc la réticence de Caruana à jouer deux départages dans la journée, et ce dernier nous a d'ailleurs confirmé que cet état de fait avait en partie influé sur sa décision. Il a en outre ajouté que la qualification pour Londres était prioritaire, vu les prix à gagner lors de cette finale. (120 000 dollars au premier !)
Ajoutons au passage que le départage de la Sinquefield Cup aurait eu lieu avant celui du GCT, ce qui aurait fatigué Caruana plus que de raison avant d'affronter So.
Voici quelques réflexions de Carlsen (en anglais) sur la situation :
Watch Magnus Carlsen On Sharing First In Sinquefield from Chess on www.twitch.tv
C'est en ne parvenant pas à défendre sa finale que Nakamura a permis à Carlsen de revenir à égalité avec Caruana. Avec un troisième homme de tête, le total des points GCT de l'américain (points qui furent partagés, rappelons-le) chuta de 1,5. Juste de quoi provoquer un match contre So le lendemain ! De quoi augurer d'amusantes discussions autour d'un verre entre les membres de l'équipe américaine lors de la prochaine olympiade !
So-Caruana, deuxième volet. | Photo: Mike Klein/Chess.com.
Tel un roi Salomon des échecs, c'est Magnus Carlsen qui a proposé au directeur du tournoi Tony Rich de partager le titre et de ne pas jouer de départages. Une fois l'accord d'Aronian et de Caruana obtenus, le tournoi fut déclaré terminé.
La partie de cette semaine sera donc la dernière rencontre en le champion du monde et le candidat avant Londres.
C'est une première pour la Sinquefield Cup : trois champions ! Ils deviennent d'ailleurs les trois premiers hommes à remporter deux fois le prestigieux titre.
Bien avant le fiasco, on a vu Caruana se faire tirer le portrait par le légendaire Harry Benson. | Photo : Mike Klein/Chess.com.
Et que dire des parties ? Aronian est venu à bout de Grischuk grâce à une idée de toute beauté : 18.Txf7?! Bien qu'elle ne fut peut-être pas tout à fait correcte, cette tactique a fait du bien à un tournoi jusque là placé sous le signe de la solidité.
L'arménien a su profiter de son avantage à la pendule pour s'imposer comme il le fallait pour rejoindre le leader en tête du classement.
"En jouant 18.Tf4, je pense que j'aurais juste eu une position égale, mais 18.Txf7 avait l'air jouable. Et j'aime beaucoup le champagne" a commenté non sans humour le grand Levon.
L'analyse du jour par le GMI Robert Hess
Si le zeitnot adverse a influencé sa décision, n'oublions pas qu'Aronian est un des derniers grands romantiques et qu'il a surtout voulu tout donner pour la victoire.
"Quand on prend des risques, on perd ou on gagne, mais on ne se rappelle que des victoires." a-t-il commenté.
"Quand on a de la chance, on en veux toujours plus." a-t-il ajouté dans la perspective d'un départage. Finalement, malgré sa bonne étoile, il refusera le tirage au sort !
Voici l'interview d'Aronian (en anglais). A cet instant, on pensait encore qu'il allait encore jouer le lendemain !
Watch Levon Aronian On Curiosity And Beauty At The Chessboard from Chess on www.twitch.tv
Caruana, lui, a assuré la nulle sans mal. Avec son demi-point d'avance sur ses poursuivants, il a facilement neutralisé So, qui a tenté une sous-ligne manquant de punch dans la défense russe. Le retour du cavalier au centre en d3 au lieu de f3 n'a pas déstabilisé le challenger au titre mondial.
So a d'ailleurs reconnu "n'avoir pas obtenu grand chose."
Quand le GMI Maurice Ashley lui demanda après sa partie pourquoi il n'avait pas tenté plus dans l'optique de sa qualification à la finale du GCT, So l'a renvoyé dans ses pénates avec le sourire : "Tu peux me dire comment faire ?"
Puis So a répondu à sa propre question. Se rappelant de sa partie de la veille, il a reconnu avoir "brièvement considéré la possibilité de jouer le début Bird".
Ce n'est que plusieurs heures plus tard que l'on appris que la performance de So lui permettrait tout de même de continuer à rêver de la finale londonienne.
"Je m'attendais à quelque chose du style." a dit Caruana. "C'était une partie bien morne. Il ne s'est rien passé, il n'avait pas trop envie de jouer, aujourd'hui."
Fabiano Caruana a soupçonné Wesley So de manquer de motivation. | Photo : Mike Klein/Chess.com.
Si c'est le cas, souhaitons-lui de retrouver un peu de grinta d'ici le match retour de demain. Le calendrier chargé de Caruana ces dernières semaines pourrait lui être favorable.
"Après ces deux-trois dernières semaines, je sature un peu des échecs." a reconnu l'italo-américain.
"Je pense qu'il y a de bonnes chances que quelqu'un d'autre termine à +2" Prédiction fiable, puisqu'ils furent deux, mais ce n'est pas pour cela qu'il reviendra demain en départages !
So et Caruana seront équipiers lors de l’olympiade de Batumi, fin septembre. So a d'ailleurs reconnu que la bonne tenue de Caruana ces dernières semaines était "de bon augure avant son match pour le titre".
Caruana avec son bras droit (et coéquipier de blitz à quatre préféré), le GMI Rustam Kasimdzhanov. | Photo : Mike Klein/Chess.com.
Pour être complet, et comme nous l'a demandé récemment le GMI Jon Ludvig Hammer, sachez qu'en cas de qualification, Caruana n'a pas obligation contractuelle de participer à la finale du GCT à Londres, mais que sa présence est "fortement encouragée".
Carlsen qui joue une longue finale, ce n'est plus très étonnant pour le public de St Louis. Encore une fois le dernier à terminer sa partie, il a remporté sa deuxième victoire du tournoi avec une opiniâtreté qui nous a rappelé la première
"Après le contrôle du temps, j'ai senti qu'il fallait que je continue à pousser." a-t-il déclaré. "Pourtant, je n'avais aucune chance de gain."
Mais après l'échange de dame, la finale de tours lui redonna espoir.
"J'ai retrouvé de l'optimisme, car j'avais désormais un but."
Nakamura a été longuement malmené par le champion du monde. | Photo : Mike Klein/Chess.com.
Carlsen n'a pas réussi à mettre le doigt sur l'erreur décisive, mais les GMI qui assistaient au débat ont considéré 62...g5 comme le coup fatal. Nakamura a confirmé, reconnaissant au micro de Chess.com qu'il n'avait pas envisagé l'invasion du roi blanc.
"On voit du danger partout, et on se met à paniquer..." fut le commentaire de Carlsen.
"Cette victoire fait toute la différence entre un tournoi médiocre et un bon tournoi." a ajouté Carlsen, qui enregistre finalement un léger gain Elo.
Nakamura aurait tout aussi bien pu aller parler au seul français dans la salle, et il aurait appris de Maxime Vachier-Lagrave que cette finale était perdante. En effet, le parisien en a perdu une très similaire en 2013 !
Et contre qui, me direz-vous ? Contre le GMI Grzegorz Gajewski, secondant d'Anand, justement présent à St. Louis ! Hélas, aux échecs, le coup de fil à un ami est interdit !
Carlsen a trouvé cette coïncidence amusante et a ajouté que Nakamura pouvait s'estimer heureux car, contrairement à Maxime, "il avait un pion de plus au moment d'abandonner".
Shakhriyar Mamedyarov était le dernier joueur à pouvoir rejoindre les hommes de tête, mais il ne put faire mieux qu'une nulle contre Anand.
"Vishy est un adversaire que j'ai beaucoup de mal à jouer", a-t-il reconnu. "Aujourd'hui, j'ai eu des problèmes."
"C'est difficile de gagner des parties" a commenté Anand après ses neufs nulles. Comment faire mieux ? A cette question, le tigre de Madras a simplement soupiré avant de répondre "Je ne sais vraiment pas."
Après trois semaines d'échecs à St.Louis, il va prendre un mois de vacances bien mérité avant de retrouver l'échiquier avec son équipe nationale. Ce sera sa première olympiade depuis douze ans. C'est la bonne forme des échecs indiens lors des dernières éditions qui a motivé son retour, et il espère continuer dans cette voie.
"Ils ont mis la barre très haut, j'espère que je ne vais pas me planter !" a-t-il ajouté.
Le Superman des échecs en a fini avec St.Louis. Carlsen ne jouera pas les olympiades, mais seulement quelques parties de la Coupe d'Europe des clubs avant de retrouver les feux de la rampe à Londres en Novembre. | Photo : Lennart Ootes/Grand Chess Tour.
Dans la dernière partie, MVL a tout donné pour remporter sa première victoire du tournoi, poussant pendant 119 coups. Malheureusement, malgré deux pions de plus, il ne put rien faire contre le "Ministre de la défense", Sergey Karjakin.
Malgré une dernière journée animée, le tournoi se termine avec huit parties décisives seulement sur 45, soit un maigre ratio de 18%. Un triste record qui tenait depuis l'édition 2016, avec 29%.
Graphiques par Spectrum Studios.
Parties fournies par TWIC.
La Sinquefield Cup était la dernière étape qualificative du Grand Chess Tour. Ce tournoi de neufs rondes se déroulait du 17 au 28 août. Les quatre premiers joueurs du classement général se qualifient pour la finale, à Londres.