Open Chess.com de l'île de Man: Wojtaszek bat Naiditsch en Armageddon et remporte le titre
Aux échecs comme ailleurs, la chance tourne toujours. Après une olympiade incroyable, la Pologne avait terminée au pied du podium, au grand dam du monde échiquéen tout entier. Un mois plus tard, leur numéro un, Radoslaw Wojtaszek, remporte le tant convoité trophée de l'île de Man.
Arkadij Naiditsch avait pourtant été le plus chanceux jusque là, jouant cinq fois les blancs et trois fois les noirs lors de la portion classique de l'Open Chess.com de l'île de Man 2018. Mais c'est bien le polonais qui a joué les blancs au moment le plus important : lors de la partie Armageddon déterminant le vainqueur final. Cette victoire au finish lui garantit même un peu plus d'"argent de poche" à l'issue d'une campagne mannoise qui fut fructueuse pour le couple Wojtaszek.
En effet, c'est son épouse, la MI Alina Kashlinskaya, qui remporte le premier prix féminin.
Kashlinskaya et Wojtaszek, tout sourire. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Après avoir annulé leur face à face dans la neuvième et ultime ronde, Wojtaszek et Naiditsch étaient les deux seuls à 7/9, mais il fallait encore attendre la fin des autres parties. Finalement, les deux hommes se retrouvèrent pour un match de blitz en deux parties. En jeu, le trophée du vainqueur et une petite enveloppe de 500£ supplémentaires. Dans des combats truffés d'erreurs mais ô combien disputés, les deux combattants gagnèrent chacun leur partie avec les blancs, et il fallut faire appel au juge de paix ultime : l'Armageddon.
"Je pense que ces départages ne sont pas représentatifs de notre force, ou en tout cas, je l'espère !" a déclaré Wojtaszek à l'issue de ces parties fougueuses. "Notre niveau était désastreux, j'ai eu plusieurs fois honte devant l'échiquier !"
Le début de la partie classique entre les deux héros du jour. | Photo : John Saunders.
Le polonais, qui conduisait les blancs lors de l'Armageddon, devait absolument l'emporter, et il l'a fait de manière convaincante, gravant son nom à jamais sur le prestigieux trophée. Sans compter le petit bonus final, les deux hommes se sont partagés les deux premiers prix, soit 37500£ chacun.
Pour le plus grand plaisir des fans du monde entier, les deux hommes portaient lors de cette finale des cardiofréquencemètres. Dans la première partie, alors que leurs pendules respectives étaient sous les 20 secondes, le cœur des duellistes battait à plus de 160 par minute !
Wojtaszek s'est même rapproché des 170 battements par minute, ce qui d'après la Mayo Clinic de Rochester, aux Etats-Unis, est très proche du seuil critique de sécurité. Selon la plupart des recherches, il est risqué de franchir le seuil de 200 - son âge (dans ce cas, 31), soit 189 battements par minute.
Il aurait été intéressant de fournir un moniteur à sa femme, Alina Kashlinskaya, qui était aux premières loges pour observer le match. Il aurait fallu tout de même prendre en compte la journée incroyable qui se terminait pour elle : Elle a en effet battu un 2600, remporté un norme de GMI, et gagné le premier prix féminin... Et tout cela, le jour de son anniversaire !
Kashlinksaya interviewée après sa victoire contre Sevian. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
C'est la fin d'un mois superbe pour Wojtaszek, qui voit son classement grimper de 22 points, culminant à près de 2750. Il double au classement Elo de véritables légendes des échecs tels qu'Hikaru Nakamura, Veselin Topalov, ou encore Peter Svidler.
Dans la première partie de départage, (jouée à la cadence 5/2), le polonais sacrifiait, ou plus vraisemblablement gaffait son pion c5. Ses pièces battaient alors la retraite, et bientôt, il perdait également le pion h. Dos au mur, les blancs vont alors ouvrir sauvagement la colonne f pour retourner totalement la situation.
Mais quelques coups plus tard, Naiditsch était à nouveau complètement gagnant ! Bientôt, son roi prenait un peu trop de libertés, et Wojtaszek était finalement celui qui commettait "l'avant-dernière erreur", selon l'expression consacrée.
Revivez cette partie d'anthologie dans les conditions du direct. Comme vous pouvez le voir, les chiffres indiqués par la pendule et ceux figurant sur les cardiofréquencemètres sont inversement proportionnels...
Watch 2018 Ches.scom Isle of Man International Tiebreak Game 1: A "Normal" Blitz Chess Game from Chess on www.twitch.tv
Après une courte pause, les joueurs changeaient de couleur, et cette fois, les blancs prenaient d'emblée l'initiative. Naiditsch réalisait un joli sacrifice de cavalier pour ouvrir la colonne e, puis échangeait deux pièces mineures contre une tour pour maintenir la pression.
Étrange déséquilibre, avec une tour et deux pions contre trois pièces mineures, mais les pions passés blancs fondaient sur la position noire, le polonais n'ayant pas pu se développer et roquer. Pourtant, l'azéri manquait de finir son adversaire, et la partie devenait totalement frénétique. On a rarement vu des 2700 jouer avec autant de fébrilité ! Le polonais, se défendant mordicus, a même failli réussir à sauver une position absolument déplorable !
Danny King a eu bien du mal à garder son flegme tout britannique en commentant cette partie épique :
Watch 2018 Chess.com Isle of Man International Tiebreak Game 2: A Sicilian Sacrifice from Chess on www.twitch.tv
C'était donc l'heure de l'Armageddon. Un tirage au sort offrit les blancs à Wojtaszek, qui jouait avec cinq minutes contre les quatre minutes de Naiditsch, avec les noirs. En cas de nulle, l'azéri remportait le trophée (pas d'incrément jusqu'au soixantième coup). C'était bien le moment pour le grand vainqueur de sortir sa meilleure partie de la journée !
"La dernière partie était bonne, je pense" a-t-il sobrement ajouté, la comparant aux deux premiers blitzs.
"En départages, il faut en vouloir plus que son adversaire" a commenté le polonais. "Aujourd'hui, c'était moi."
"Il fallait que je fasse aussi bien qu'Alina, je n'avais pas le choix !"
Voici l'Armageddon dans les conditions du direct, et l'interview du vainqueur :
Watch 2018 Chess.com Isle of Man International Tiebreak: Armageddon from Chess on www.twitch.tv
Avant ce final tonitruant, les deux hommes avaient signé une nulle sans histoire au premier échiquier. Le sacrifice de pièce de Naiditsch était correct, mais n'offrait finalement pas mieux que la nulle par répétition forcée.
Trois autres joueurs étaient encore dans la course au titre avec 6/8 à l'approche du dernier jour. Mais aucun d'entre eux n'a réussi à l'emporter pour s'offrir une place en départages. La rencontre entre Jeffery Xiong et Gawain Jones, au deuxième échiquier, devait être décisive, mais elle ne le fut pas. Quand à Maxime Vachier-Lagrave, il lui fallait battre le puissant Alexander Grischuk avec les noirs, mais le français, pourtant très combatif, a fini par perdre la partie.
Fait étonnant, Grischuk a fait remarquer que malgré le grand nombre de parties ayant opposées les deux hommes en cadence classique, celle-ci était la première à ne pas se terminer par la nulle ! Et le russe a également remarqué une autre statistique étonnante : des six joueurs du top 10 mondial présent à cet open, seul deux se sont rencontrés, et ce fut lors de la dernière ronde !
Alexander Grischuk, toujours un bon client en interview, n'est-ce pas Fiona Steil-Antoni ? | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Et ce qui est sûr, c'est que les deux hommes avaient bien besoin d'une victoire ! MVL, pour avoir une chance de l'emporter, et Grischuk, pour faire partie des gagnants pécuniaires de l'événement !
"Pour avoir une chance de gagner un bon prix, il fallait absolument que je gagne aujourd'hui" a-t-il confirmé, ajoutant qu'il avait pris de nombreuses décisions qu'il considérait agressives.
La partie du jour analysée par le GMI Dejan Bojkov
Grischuk et MVL analysant leur partie. Les bonnes vieilles post-mortems sont toujours très fréquemment de mises dans ce genre d'événement. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Grischuk, qui trouvait tout juste sa vitesse de croisière, était déçu de voir le tournoi prendre fin.
"J'ai un drôle de sentiment." a-t-il commenté. "C'est comme si je n'avais joué que trois parties, et je n'ai rencontré qu'un seul joueur du top 10."
"J'ai l'impression d'avoir fait un 100 mètres en vélo, ou juste un kilomètre en formule un" a-t-il ajouté.
Sasha a également révélé qu'il n'était pas à la page au niveau technologique, et qu'il était peu probable de le voir streamer dans un futur proche. Il a ajouté que les applications Viber et Whatsapp venaient tout juste de faire leur entrée sur son smartphone.
Nous vous proposons ci-dessous la superbe touche finale du tournoi d'Alina Kashlinskaya. Ayant déjà acquis sa norme de GMI, elle a joué l'esprit libre contre l'américain Sam Sevian, s'offrant un joli cadeau pour son 25ème anniversaire.
Pour sa première norme de GMI, on aurait pu imaginer qu'elle avait suivi l'affaire de près, mais non ! Ce n'est qu'en arrivant sur le site du tournoi le matin de la dernière ronde qu'elle a appris qu'elle avait déjà le précieux papier en poche !
Pour fêter ça, elle a tenté un sacrifice tout feu tout flamme. En pleine possession de ses moyens, elle a poursuivi avec justesse pour s'octroyer une victoire de prestige :
Kashlinskaya contre Sevian. | Photo : John Saunders.
Kashlinskaya remporte 7000£ pour sa place de première féminine, soit une razzia totale de 45 000£ pour la famille Wojtaszek ! C'est évidemment le meilleur résultat en commun pour le couple.
"Je ne sais pas comment expliquer ce qui m'est arrivé. J'ai eu l'impression que certains forts joueurs ont moins bien joué contre moi !" a-t-elle commenté.
Alexandra Kosteniuk remporte le deuxième prix chez les féminines.
Plus bas dans le classement, Vladimir Kramnik et Hikaru Nakamura ont tous deux terminés sur les chapeaux de roues. Bien que mathématiquement éliminés de la course au titre avant même le début de la journée, ils terminent à la troisième place ex-aequo avec 6,5/9.
Kramnik a battu Alexey Shirov dans une berlinoise, malgré le pion passé de l'espagnol. C'était la 57ème rencontre entre les deux hommes, et Kramnik mène ce petit match privé 16 à 12 (29 nulles).
Deux poids-lourds des échecs se retrouvent en fin de carrière. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Nakamura a joué l'une des plus longues parties du jour, finissant par convertir sa pièce de plus contre Pavel Eljanov, vainqueur de l'épreuve en 2016.
Open Chess.com de l'île de Man 2018 | Classement final (6 points et plus)
Cl. | Titre | Nom | FED | Elo | Pts |
1 | GMI | Wojtaszek Radoslaw* | 2727 | 7,0 | |
1 | GMI | Naiditsch Arkadij | 2721 | 7,0 | |
3 | GMI | Kramnik Vladimir | 2779 | 6,5 | |
3 | GMI | Grischuk Alexander | 2769 | 6,5 | |
3 | GMI | Nakamura Hikaru | 2763 | 6,5 | |
3 | GMI | Wang Hao | 2722 | 6,5 | |
3 | GMI | Jones Gawain C B | 2677 | 6,5 | |
3 | GMI | Adhiban B. | 2668 | 6,5 | |
3 | GMI | Xiong Jeffery | 2656 | 6,5 | |
10 | GMI | Giri Anish | 2780 | 6,0 | |
10 | GMI | Vachier-Lagrave Maxime | 2780 | 6,0 | |
10 | GMI | Anand Viswanathan | 2771 | 6,0 | |
10 | GMI | Karjakin Sergey | 2760 | 6,0 | |
10 | GMI | Rapport Richard | 2725 | 6,0 | |
10 | GMI | Le Quang Liem | 2715 | 6,0 | |
10 | GMI | Vidit Santosh Gujrathi | 2711 | 6,0 | |
10 | GMI | Artemiev Vladislav | 2706 | 6,0 | |
10 | GMI | Almasi Zoltan | 2702 | 6,0 | |
10 | GMI | Leko Peter | 2690 | 6,0 | |
10 | GMI | Howell David W L | 2689 | 6,0 | |
10 | GMI | Sethuraman S.P. | 2673 | 6,0 | |
10 | GMI | Kovalev Vladislav | 2664 | 6,0 | |
10 | GMI | Melkumyan Hrant | 2660 | 6,0 | |
10 | GMI | Sutovsky Emil | 2633 | 6,0 | |
10 | GMI | Parligras Mircea-Emilian | 2623 | 6,0 | |
10 | GMI | Ganguly Surya Shekhar | 2622 | 6,0 | |
10 | GMI | Fridman Daniel | 2600 | 6,0 | |
10 | MI | Kashlinskaya Alina** | 2447 | 6,0 |
*Vainqueur au départage.
**Première féminine.
Les résultats complets sont disponibles ici.
Watch Chess.com Isle of Man, Final Round from Chess on www.twitch.tv
L'open Chess.com de l'île de Man était un tournoi suisse en neuf ronde disputé du 20 au 28 octobre 2018. Il se tenait à la Villa Marina de Douglas, et était généreusement parrainé par la famille Scheinberg.
Radek Wojtaszek et Alina Kashlinskaya repartent de l'île de Man les poches pleines ! | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Wojtaszek a ajouté son nom sur la prestigieuse coupe. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Lors de son discours, le vainqueur a remercié son épouse pour son soutien et a promis qu'il reviendrait défendre son titre l'année prochaine. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Arkadij Naiditsch, second, n'a pas démérité. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Les troisièmes ex-aequo (de gauche à droite) : Vladimir Kramnik, Hikaru Nakamura, Wang Hao, Baskaran Adhiban, Jeffery Xiong, Gawain Jones et Alexander Grischuk, en compagnie de l'organisateur Alan Ormsby. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Une belle brochettes de 11ème ex-aequo ! | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Alina Kashlinskaya a reçu le premier prix féminin... | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
...ainsi qu'une norme de GMI ! | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Alexandra Kosteniuk a remporté le second prix chez les femmes. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
A la troisième place ex-aequo du classement féminin, on retrouvait : Soumya Swaminathan (norme de MI dans la poche !), Nino Batsiashvili, Munguntuul Batkhuyag, Jovanka Houska, Elisabeth Paehtz et Irina Bulmaga. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Karjakin et Kramnik, plus photogéniques que Giri. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Le couple de vainqueurs et de nombreux autres (grands) maîtres ont paraphé un échiquier destiné à Isai Scheinberg, le parrain de l’événement. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.