Les indiens toujours plus haut, les équipes de France dans la tourmente

Une nouvelle victoire sur un score fleuve (3,5-0,5) permet à l'Inde de continuer à dominer cette 45ème Olympiade d'échecs avec un score de 16/16. Sur 32 parties individuelles jouées, les hommes de Srinath Naranayan n'en ont toujours pas perdu une seule ! Devant son public, le GMI hongrois Benjamin Gledura offrait la victoire aux siens face à l'Arménie en venant à bout de Robert Hovhannisyan au quatrième échiquier. Les locaux sont plus que jamais en course pour la médaille. L'équipe de Serbie résistait bien à l'Ouzbékistan, mais Nodirbek Abdusattorov finissait par rompre les défenses d'Alexandr Predke au terme d'une finale de tours fascinante.

Côté français, malgré un match solide, la marche était trop haute face aux têtes de série américaines. Avec les noirs, Maxime Vachier-Lagrave tenait une nulle solide dans la sicilienne face au numéro 2 mondial. Au deuxième échiquier, Etienne Bacrot n'obtenait aucune chance de gain mais ne tremblait jamais pour annuler sa finale berlinoise face à Wesley So. Le jeune corse Marc'Andria Maurizzi se montrait tout aussi sérieux en neutralisant sans problème Leinier Dominguez. Mais tout s'était déjà joué au quatrième échiquier entre Maxime Lagarde et la légende Levon Aronian... Face à la défense française de son adversaire, Max trouvait de bons coups et obtenait une position très saine. Las, il commettait une imprécision qui offrait l'initiative à son adversaire. Ce dernier n'allait jamais la relâcher. Sacrifice de qualité, attaque de mat… Rien n'allait être épargné au chartrain, qui devait rendre les armes juste avant le 40ème coup. Les français auront une dernière chance de se relancer vendredi face à l'Italie. Un 3/3 sur les dernières rondes pourrait encore leur offrir une très belle place d'honneur.

Chez les femmes, comme en 2022, la Pologne est la première équipe à venir à bout de l'Inde. Les MI Alina Kashlinskaya et Alicja Sliwicka étaient les grande artisanes d'une victoire qui mit longtemps à se dessiner. Ces deux équipes sont rejointes en tête par le Kazakhstan, bourreau de françaises que l'on a pourtant vues tant de fois gagnantes... Si Deimante Cornette subissait la loi de la numéro 1 ouzbek, derrière, tous les voyants étaient au vert. Sophie Milliet égalisait d'ailleurs rapidement avec autorité, laissant à ce moment Pauline Guichard et Natacha Benmesbah dans des positions excellentes et même gagnantes. Première alerte pour Pauline, qui choisissait de ne pas prendre la pièce sacrifiée par son adversaire, ratant une suite tactique neutralisant le contre-jeu blanc. Elle conservait tout de même un large avantage, tandis que Natacha semblait continuer à dominer. Hélas, comme face à l'Inde, le zeitnot allait être fatal à nos joueuses. Pauline gaffait à plusieurs reprises dans une position très tendue et concédait une défaite, ce qui laissait Natacha dans une situation de "must-win" extrêmement précaire. Sous pression du temps, elle ratait une suite très difficile et devait se contenter de la nulle, au grand dam de toute l'équipe. Une véritable claque pour les bleues qui voient leur très réelles chances de médailles s'amenuiser. Ce vendredi, elles affronteront la surpuissante équipe de Géorgie pour tenter une dernière fois de réaliser l'exploit.

La ronde neuf se déroulera vendredi 20 septembre à partir de 15 heures.

• Mixte : L'Inde sur son nuage, L'Ouzbékistan en dauphin
• Femmes : La Pologne stoppe l'Inde

Mixte : L'Inde sur son nuage, l'Ouzbékistan en dauphin

Toujours en tête avec un score parfait de 16/16, l'Inde n'a plus que la Hongrie et l'Ouzbékistan (14/16) dans le rétroviseur. Après leur victoire au finish face à la Serbie, les champions en titre auront leur chance face à l'ogre indien à la prochaine ronde.

Résultats complets ici.

Il aurait été difficile de faire mieux ! L'Iran a été balayé de la carte ce jeudi. Parham Maghsoodloo obtenait bien des chances de nulle face à Gukesh Dommaraju, mais cela n'aurait de toute façon rien changé, car Arjun Erigaisi et Vidit Gujrathi avaient déjà fait la différence sur les échiquiers du bas.

Arjun était comme souvent le premier à scorer, cette fois face au GMI Bardiya Daneshvar. Ces derniers temps, il devient difficile de l'imaginer faire autrement ! Encore une fois, il ne laissait que peu de chances à son adversaire, pourtant classé 2600 Elo. Après l'imprécision 20.Fe3?, son attaque semblait presque facile. Il envoyait le pion f en pointe et ne relâchait jamais la pression.

Septième victoire en huit parties pour Arjun, désormais pointé à 2792 Elo. Rêve-t-il déjà de devenir le 15ème joueur de l'histoire à franchir les 2800 ? Pas vraiment, comme il le dit à notre envoyé spécial Mike Klein :

Mike Klein: "Have you thought at all about getting to 2800?"

Arjun Erigaisi: "No, not at all... my focus is only on the tournament."#ChessOlympiad pic.twitter.com/cZWBgVsAKg

— chess24 (@chess24com) September 19, 2024

Au premier échiquier, Maghsoodloo était en difficulté dès l'ouverture (un gambit dame refusé variante Tarrasch) avec les blancs. Un ordre de coup imprécis (15.Cxb6 était meilleur), puis une erreur sérieuse avec 18.Txe3? permettait à son adversaire de prendre l'avantage.

It looks like Parham is in trouble on board one, with the white pieces vs. Gukesh!https://t.co/LHX5c653Fo#ChessOlympiad pic.twitter.com/HTDJaINSzE

— chess24 (@chess24com) September 19, 2024

Curieusement, on n'avait vu cet ordre de coup qu'une seule fois auparavant, avec Vladimir Kramnik à la baguette, dans une partie sur Chess.com. L'ancien champion du monde (et actuel capitaine de l'équipe d'Ouzbékistan) avait d'ailleurs bien mieux négocié la position. Parham parvenait malgré tout à revenir dans la partie et obtenait trois pions contre la pièce, mais une deuxième gaffe (29.Nc4??) mettait un terme abrupt à la partie et au match.

Quelques instants plus tôt, Praggnanandhaa Rameshbabu avait négocié une finale de pièces lourdes légèrement désavantageuse et signé la nulle face à Amin Tabatabaei, pliant officiellement le match. Cela n'allait pas empêcher Vidit de continuer sa brillante attaque dans la Sozin ! Il venait à bout de Pouya Idani au quatrième échiquier.

Les indiens mènent désormais de deux points, ce qui signifie que même en cas de défaite à la prochaine ronde, ils resteraient en tête du tournoi.

L'Ouzbékistan, sur le podium provisoire en compagnie de la Hongrie, a réalisé un très beau début de match face à la Serbie. Les champions en titre obtenaient rapidement d'excellentes positions aux deux premiers échiquiers, mais les serbes ne se laissaient pas faire et parvenaient à rétablir l'équilibre. Finalement, c'est au premier échiquier que le match allait se décider. C'est notre partie du jour.

Avec des nulles aux échiquiers 3 et 4, la victoire ouzbèke semblait inéluctable. Pourtant, le GMI d'origine russe Alexey Sarana réussissait un premier tour de magie en liquidant dans une finale de fous de couleurs opposées. Au premier, la partie était également pleine de surprises.

Dans une ligne d'ouverture particulièrement folle, Predke manœuvrait sa tour h1 jusqu'en b3 via h3. Elle se retrouvait ensuite en e3, sans qu'il ait développé la moindre autre pièce ! Abdusattorov prenait l'avantage sur l'échiquier et à la pendule.

Predke has under 10 minutes against over an hour, and what's worse is that he has almost no pieces developed! It will be a seventh win out of eight rounds if Abdusattrov takes this one.https://t.co/BWQ2kOneyf#ChessOlympiad pic.twitter.com/NGxLh15X9g

— chess24 (@chess24com) September 19, 2024

Mais alors que Sarana signait la nulle, Predke semblait s'en sortir en entrant cahin-caha dans une finale de tours égale. Allait-il réaliser le sauvetage du jour ? Comme Gukesh la veille face à Wei Yi, le numéro 1 ouzbek allait pourtant continuer à poser des problèmes, jusqu'à pousser son adversaire à la faute en toute fin de partie. Un morceau d'histoire analysé pour vous par Rafael Leitao ci-dessous.

La course à la médaille d'or individuelle fait rage entre Gukesh, Abdusattorov et Magnus Carlsen, vainqueur ce jeudi de Le Quang Liem (La Norvège ne pouvant toutefois pas faire mieux qu'un match nul).

Au deuxième échiquier, c'est le jeune GMI turc Ediz Gurel qui mène la danse, au troisième, sans surprise Arjun Erigaisi et au quatrième, Levon Aronian.

Aronian, justement, a connu un début de tournoi très compliqué, mais a depuis cessé de gaffer des pièces, au grand dam notamment de Maxime Lagarde ! Après la partie, le grand Levon livrait ses impressions à notre journaliste Mike Klein :

"Sometimes when you're playing bad and you're surviving, in a way this is like much better than playing well the whole time," says @LevAronian about his earlier, shaky rounds! He won a convincing game today.#ChessOlympiad pic.twitter.com/0acSwrSHb2

— chess24 (@chess24com) September 19, 2024

On attendait moins l'autre équipe à 14 points, une surprenante Hongrie, victorieuse sur ses terres de l'Arménie sur le score de 2,5-1,5. Là aussi, le match se jouait sur un seul échiquier, le quatrième. Gledura, armé d'un pion de plus, neutralisait le contre-jeu adverse pour s'offrir une victoire de prestige.

Coup dur pour l'éternelle équipe d'Arménie, qui avait finit seconde avec 19 points (comme les vainqueurs) à la précédente Olympiade. Cette année, les ex-coéquipiers d'Aronian sont à quatre points des leaders à trois rondes de la fin.

Petite surprise côté chinois, l'encadrement ayant décidé de sortir le champion du monde Ding Liren de l'équipe pour la seconde fois de suite. La Chine vient toutefois à bout d'une belle équipe de Roumanie grâce à la victoire de Yu Yangyi en finale de tours contre Kirill Shevchenko.

Remake de 2022, la rencontre Inde-Ouzbékistan de vendredi sera sous haute tension. Il y a deux ans, Gukesh était à 8/8 quand il avait été stoppé par nul autre que Nodirbek Abdusattorov, qui gagnait la partie au terme d'un zeitnot de folie pour offrir le match nul à son équipe. La fin de l'histoire est connue ! Les indiens semblent intouchables, mais sait-on jamais… Les ouzbeks parviendront-ils une fois de plus à gâcher la fête ?

Malgré une défaite contre l'Ukraine en début de tournoi, les favoris américains remontent progressivement au classement, et affronteront la Hongrie au deuxième échiquier. Quand au choc entre la Chine et l'Iran, tous deux vaincus lors des dernières rondes, il promet des étincelles !

Appariements de la ronde 9 (Top 15)

Femmes : la Pologne stoppe l'Inde

La Pologne gagnait deux parties, en perdait une, et finissait par s'offrir le match avec une nulle pour porter le score à 2,5 à 1,5. Les victoires des Etats-Unis, de l'Arménie et de l'Ukraine leur permettent de revenir dans la course aux médailles.

Après une journée très spectaculaire, trois équipes sont désormais en tête : l'Inde, la Pologne et le Kazakhstan. En embuscade à un point, on retrouve les Etats-Unis, l'Arménie et l'Ukraine. Hélas, les françaises ont raté le train et devront cravacher pour revenir devant.

Lors de l'Olympiade 2022 à Chennai, les locales avaient réalisé un départ parfait avec 14/14, comme à Budapest. Elles avaient ensuite fait nulle contre l'Ukraine avant d'être brutalement stoppées par la Pologne. Un scénario qui semble se répéter !

La défaite indienne survient cette fois une ronde plus tôt, mais les bourreaux sont à nouveau polonaises.

Comme en 2022, la GMI Vaishali Rameshbabu perdait sa partie. A l'époque, c'était contre la MIF (désormais MI) Oliwia Kiolbasa, qui était cette fois laissée au repos. Mais l'expérimentée Monika Socko obtenait le même résultat en profitant d'une erreur adverse dans une finale de tours qui semblait pourtant égale.

Monica Socko reaches move 40 with a winning position vs. Vaishali! https://t.co/YxoQcYWrDm #ChessOlympiad pic.twitter.com/dJ3iKElqUl

— chess24 (@chess24com) September 19, 2024

Elle obtenait un pion passé en déviant le roi de la défense du pion. Le tour c5 se retrouvait hors-jeu, et d2 suivi de Tc1 allait bientôt forcer l'abandon.

Dans ce match étouffant, rien n'était clair jusqu'au dernier coup de la dernière partie. Avec 1-0 pour la Pologne, mais des indiennes en position avantageuse sur deux des échiquiers restants, tout restait à jouer. La jeune MI Divya Deshmukh (18 ans) résistait à la pression imposée par Aleksandra Maltsevskaya, piquait un pion et finissait par l'emporter avec autorité. Elle est à 7/8 dans ce tournoi.

La grande inconnue restait Kashlinskaya qui, comme aux rondes précédentes, avait joué brillamment pour prendre un bel avantage mais semblait avoir beaucoup de mal à convertir. Plusieurs fois, on a cru voir Harika Dronavalli s'en sortir, mais la polonaise parvenait finalement à l'emporter grâce à son pion de plus. Son équipe ne pouvait déjà plus perdre le match.

Alina Kashlinskaya wins and now if Alicja Sliwicka can hold a drawn endgame Poland will beat India — just as they did in the 2022 Olympiad — and we'll have a tie at the top! https://t.co/AUACnbpOQi #ChessOlympiad pic.twitter.com/TwlGB9Ly4M

— chess24 (@chess24com) September 19, 2024

Tout se jouait donc au dernier échiquier, où la MI Vantika Agrawal semblait sur le point de remporter une cinquième partie d'affilée. Las, elle gaffait son atout-maître, le pion passé a, et Sliwicka parvenait à tenir la nulle.

Alicja Sliwicka holds a draw and Poland beat India — we now have a 3-way tie with Poland, India & Kazakhstan leading the Women's #ChessOlympiad with 3 rounds to go! https://t.co/goYzReMAGv pic.twitter.com/czszvomT9W

— chess24 (@chess24com) September 19, 2024

La France et le Kazakhstan avaient donc la chance de rejoindre le groupe de tête.

Face à la jeune MIF Alua Nurman (17 ans), Pauline Guichard profitait d'un pion de plus et de superbes pièces. Mais avec une minute à la pendule pour les deux joueuses, Nurman jouait 35.e4, et le chaos gagnait l'échiquier. Pauline laissait son avantage s'envoler, et en tentant d'éviter la nulle, elle glissait à nouveau et voyait son adversaire l'emporter. Cruel dénouement !

On semblait malgré tout se diriger vers un match nul avec quatre victoires blanches, mais une autre adolescente, la MIF Amina Kairbekova, tenait héroïquement la nulle face à Natacha Benmesbah pour offrir la victoire aux siennes. Une occasion en or ratée par la France qui, hélas, ne se présentera sans doute plus…

A trois rondes du terme, tout peut encore arriver. Trois équipes sont en embuscade après leurs victoires à la huitième ronde : L'Ukraine, vainqueur in-extremis de la Hongrie, et les USA et l'Arménie, larges vainqueurs de l'Ouzbékistan et de la Mongolie respectivement.

N'oublions toutefois pas la Chine, à deux points des leaders. Après avoir subi deux défaites de suite, les chinoises viennent de remporter deux matchs sur le score fleuve de 4-0.

Un peu plus loin dans le classement, on retrouve l'équipe du Libéria menée par la jeune Abigail Karyah (16 ans). Sa belle série de 7 victoires d'affilée a hélas pris fin ce jeudi, avec une première défaite contre Madagascar.

Eman Sawan, la palestinienne de 17 ans, est désormais elle aussi à 7/7. Sa performance de 2631 la place largement devant Kashlinskaya (2568) dans la course à la médaille d'or individuelle au premier échiquier. Si elle gagne la prochaine ronde, elle aura joué les huit parties nécessaires pour être éligible à une médaille. Elle pourrait ensuite théoriquement arrêter de jouer pour conserver sa performance, comme Carlsen aux Championnats d'Europe par équipes l'année dernière, mais petit problème : il n'y a que quatre joueuses dans son équipe, et donc pas de remplaçante !

Elle a expliqué au MF Mike Klein vivre désormais en Jordanie, car sa famille craint de retourner en Palestine.

Eman talked to @ChessMike after her 7th win in a row! https://t.co/WOjMSVoy9g pic.twitter.com/Kjb7EwBeg5

— chess24 (@chess24com) September 19, 2024

A trois rondes de la fin, cette Olympiade féminine est plus serrée que jamais. La prochaine ronde, qui opposera notamment la Pologne et le Kazakhstan, sera absolument cruciale.

Appariements de la ronde 9 (Top 15)

Colin McGourty a contribué à cet article.

Les 45èmes Olympiade d'échecs FIDE sont un événement d'équipe massif pour les fédérations nationales qui a lieu tous les deux ans. En 2024, elle se déroule à Budapest, en Hongrie, avec 11 rondes du 11 au 22 septembre. Dans les sections Mixte et Féminine, des équipes de cinq joueurs et joueuses s'affrontent dans un tournoi au système suisse, chaque match se jouant sur quatre échiquiers. La cadence est de 90 minutes avec un ajout de 30 minutes au 40ème coup et incrément de 30 sec par coup pour toute la partie. 

Précédemment :

• Le chef-d'œuvre de Gukesh, la France face au mur géorgien
• L'Inde seule en tête, la France en remontada !
• Les Bleu(e)s se replacent ; l'Inde impressionne !
• Ivanchuk et l'Ukraine font l'exploit, la France se remet en selle
• Carlsen en roue libre ; Coup de massue pour les bleus !