Le cauchemar de Warmerdam (et d'Alireza)
La neuvième ronde du tournoi Tata Steel de Wijk aan Zee a vu un regroupement en tête de peloton : Nodirbek Abdusattorov et Praggnanandhaa Rameshbabu, tous deux vainqueurs, rejoignent Anish Giri et Gukesh Dommaraju aux avant-postes.
Journée beaucoup plus compliquée pour Alireza Firouzja et le local de l'étape Max Warmerdam, qui gaffait dans une finale complètement gagnante et finissait par perdre contre Parham Maghsoodloo.
Dans le tournoi Challengers, le jeune corse Marc'Andria Maurizzi continue sa marche en avant en venant à bout de la MI Divya Deshmukh. Leon Luke Mendonca, également vainqueur, le suit à une demi-longueur.
Résultats du Masters - Ronde 9
Classement après 9 rondes
Le goût de la défaite aux échecs n'a jamais été aussi bien décrit que par le GMI Jan Hein Donner, après sa défaite face à Hans Ree en 1972 :
"Après avoir tendu la main à mon adversaire en signe d'abandon avec le plus grand flegme anglo-saxon, je me suis précipité chez moi et me suis jeté sur le lit, où j'ai hurlé et sangloté des heures entières, enroulé dans ma couette. Pendant trois jours entiers, les Furies me tourmentèrent. Puis je me suis levé, je me suis habillé, j'ai embrassé ma femme, et j'ai fait le point sur ma vie."
Warmerdam est encore jeune et possède un grand avenir dans les échecs s'il ne choisit pas une "carrière normale" après ses études en économie. Pourtant, on peut imaginer qu'après cette partie, son état devait similaire à celui de Donner en 72.
Encore une fois, c'est le jeune batave qui déterminait la direction qu'allait prendre la partie dans l'ouverture en optant pour un vieux gambit théorisé par Alexander Schara et Heinz von Hennig. L'iranien, qui semblait pourtant en pleine confiance, commettait rapidement une grosse erreur, et se retrouvait dans une finale avec une qualité sèche de moins. Il était perdu, et il le savait.
Mais Warmerdam commençait à bégayer sa technique, choisissant de rendre la qualité contre deux pions passés. Les blancs avaient suffisamment de contre-jeu pour s'en sortir, mais Parham fautait une fois de plus, offrant à son adversaire une position à nouveau gagnante. Pourtant, comme face à Praggnanandhaa, Max allait chuter sur la dernière marche.
Après plus de cinq heures de jeu, alors qu'il avait largement assez de temps à la pendule, le jeune loup ratait une combinaison qui permettait à son adversaire d'annuler en force, et finissait par tomber dans le dernier (redoutable) piège tendu par le rusé iranien. Soudain, les blancs étaient gagnants ! Une menace de fourchette digne d'une étude parachevait la journée cauchemardesque du batave, des portes du paradis au neuvième cercle des enfers.
"J'ai eu une chance incroyable aujourd'hui. Mais je suis tellement content de remporter ma première victoire" commentait Maghsoodloo.
Pour cette neuvième ronde, les 14 participants du Masters avaient parcouru les 70 kilomètres qui les séparent de la Haye pour la traditionnelle sortie annuelle. Ils s'affrontaient pour une ronde dans le cadre prestigieux de l'amphithéâtre de la Haye, à un jet de pierre de la célèbre plage de Schéveningue. Peut-être motivé par la présence d'un public plus nombreux que d'habitude, les joueurs nous offraient la ronde la plus sanglante vue jusque-là, avec cinq parties décisives.
Le premier vainqueur du jour était Abdusattorov, qui venait à bout d'un autre local. Jorden van Foreest semble en effet bien loin de la forme olympique qui lui avait permis de remporter ce tournoi en 2021. Complètement dépassé, il agitait le drapeau blanc dès le 24ème coup.
Abdusattorov, qui voyait déjà sa position complètement gagnante, n'était pas surpris par cet abandon précipité. Il est vrai que la partie s'était décidée dès l'ouverture. Le piégeux 10.Ch4 exigeait des noirs une réponse précise qu'ils ne parvenaient pas à trouver sur l'échiquier.
Abdusattorov revient dans le groupe de tête, car Gukesh et Giri annulaient tous deux leurs parties. Dans son fief et avec sa famille dans le public, Anish était survolté et s'improvisait reporter, interviewant son bon ami Vidit Gujrathi :
On retrouve également Praggnanandhaa en tête pour la première fois du tournoi. Le nouveau numéro 1 indien venait à bout de Ju Wenjun dans une ligne intéressante de l'italienne deux cavaliers. "J'avais vraiment envie de gagner." avouait-il.
Dans une variante jouée depuis des siècles, il paraît impossible de voir une nouveauté dès le dixième coup. C'était pourtant l'exploit que réalisait Pragg ! Son adversaire se montrait rapidement imprécise et voyait ses compensations disparaître. Lorsque la colonne g s'ouvrait, l'indien lançait une attaque très puissante grâce à son fou sur la grande diagonale. C'est notre partie du jour, et la voici analysée pour vous ci-dessous par le GMI Rafael Leitao :
Alireza Firouzja est sans nul doute le joueur le plus intéressant à suivre dans ce tournoi, n'ayant fait que deux nulles en neuf parties. Cette fois, hélas, la pièce tombait encore du mauvais côté. Pourtant, dans une Ragozine, il obtenait une très bonne position avec les noirs à la sortie de l'ouverture.
Mais son adversaire Alexander Donchenko semblait mieux comprendre les subtilités du milieu de jeu, et finissait par prendre un avantage écrasant. A propos de sa première victoire du tournoi, il commentait : "Apparemment, pour gagner à Wijk aan Zee, il fallait que je quitte Wijk aan Zee ! En tout cas, même si je ne suis pas sûr de mériter cette victoire, je suis très content."
Apparemment, pour gagner à Wijk aan Zee, il fallait que je quitte Wijk aan Zee !
—Alexander Donchenko
Ian Nepomniachtchi ne jouera sans doute pas la victoire dans ce tournoi après sa défaite face à Wei Yi, qui, bien reposé, livrait une prestation remarquable.
Le russe sacrifiait un pion au centre, mais le chinois conservait l'avantage grâce à la faiblesse du cavalier d7.
Résultats du Challengers - Ronde 9
Classement après 9 rondes
Peu de changements dans le tournoi B, qui se jouait à Wijk aan Zee comme les autres jours. La victoire de Marc'Andria était cependant particulièrement instructive. Le corse punissait une simple erreur positionnelle de son adversaire avec une technique irréprochable :
L'auteur de ces lignes étant lui-même hollandais, il ne peut s'empêcher de s'intéresser tout particulièrement aux performances des joueurs locaux. Mais quand quelqu'un a le courage de jouer le gambit-roi, qu'importe l'origine, il faut parler de sa partie !
La MI Eline Roebers réalise un tournoi aussi chaotique que celui de Firouzja, mais avec moins de points. A ce stade, elle semble vouloir simplement s'amuser. Le gambit du fou (3.Fc4) est connu pour être l'une des variantes les plus douteuses du gambit-roi, mais la jeune batave obtenait malgré tout une position prometteuse. Las, elle gaffait une tour sèche en zeitnot ! Une mésaventure qui n'était pas sans rappeler celle de Warmerdam dans le Masters...
Appariements du Masters - Ronde 10
Appariements du Challengers - Ronde 10
Le Tata Steel se déroule du 13 au 28 janvier 2024 à Wijk aan Zee, aux Pays-Bas. La cadence est de 100 minutes pour 40 coups, suivies de 50 minutes pour terminer la partie avec un incrément de 30 secondes par coup. Les groupes Masters et Challengers sont des tournois toutes rondes comptant chacun 14 joueurs.
La retransmission de la ronde 9 avec les GM David Howell et Daniel Naroditsky.
Précédemment :
- Cocorico ! Firouzja terrasse le champion du monde ; Maurizzi leader du Challengers
- Firouzja rechute ; regroupement en tête entre Abdusattorov, Gukesh et Giri
- Firouzja battu par la championne du monde
- Praggnanandhaa fait chuter le champion du monde et devient n°1 indien devant Anand
- Giri rejoint Firouzja en tête !
- Firouzja enchaine et prend les commandes en solitaire !
- Firouzja démarre en force le Tata Steel !