L'arbitre internationale Bayat ne reviendra pas en Iran - La MI Khademalsharieh quitte l'équipe nationale
Sur l'échiquier et en dehors, l'Iran est actuellement dans l’œil du cyclone. Pour la deuxième fois en deux mois, de gigantesques manifestations ont agité le pays. Les autorités ont également brièvement coupé internet sur tout le territoire (ce qui a notamment affecté les nombreuses parties par correspondance jouées sur Chess.com, parties ayant été exceptionnellement restaurées) et réprimé dans la violence le mouvement social. (Entre 200 et 400 décès selon Amnesty International).
Les troubles politiques qui agitent la théocratie ont entraîné le départ de plusieurs stars du monde échiquéen. On a beaucoup parlé récemment d'Alireza Firouzja, numéro un mondial chez les juniors, qui réside en France depuis plusieurs mois. Il a officiellement quitté le giron de la fédération iranienne face à l'interdiction d'affronter des joueurs israéliens aux championnats du monde de rapide et de blitz. On se souvient que les instances iraniennes avaient forcé le jeune joueur à déclarer forfait plutôt que d'affronter le MF Or Bronstein à l'open Grenke en 2019.
En outre, le jeune MF Borna Derakhshani a été exclu de l'équipe nationale iranienne en 2017 après avoir affronté le GMI israélien Alexander Huzman à l'open de Gibraltar.
C'est cette semaine l'arbitre internationale Shohreh Bayat qui est venu s'ajouter à la longue liste des défections. Actuellement arbitre en chef du championnat du monde féminin qui se déroule en Chine, elle a déclaré ne pas vouloir retourner en Iran à l'issue de la compétition. Photographiée sans hijab dans les rues de Shanghai, elle se retrouve en porte-à-faux vis-à-vis des législations iraniennes exigeant des iraniennes de porter à tout moment le hijab en public (les sportives ayant en outre l'obligation de le porter également à l'étranger). Son père s'est exprimé le 10 janvier sur le média Iranian Students News Agency :
Sa mère et moi, ainsi que le président de la fédération iranienne, avons tout essayé pour la convaincre de rentrer en Iran, mais elle est inquiète des répercussions possibles sur sa carrière ici et préfère continuer dans un autre pays avec l'aide de la fédération internationale des échecs.
Avant la compétition, le vice-président de la FIDE et ancien candidat au titre mondial Nigel Short, qui commente actuellement le championnat du monde féminin, n'avait pas tari d'éloges sur Bayat :
Shohreh Bayat - the first woman ever to be General Secretary of a sport federation in #Iran. The only female Category-A International Arbiter in Asia. A great ambassador for her country. pic.twitter.com/18H8ESqwkp
— Nigel Short (@nigelshortchess) January 9, 2020
Shohreh Bayat est la première femme à être nommée secrétaire générale d'une fédération sportive en Iran et la seule femme arbitre internationale de catégorie A dans toute l'Asie. C'est une formidable ambassadrice pour son pays.
Il avait également déclaré à Chess.com :
C'est la meilleure arbitre féminine d'Asie. Elle connaît parfaitement toutes les règles de notre sport, et en tant qu'ancienne joueuse, elle comprend très bien les exigences humaines de la compétition. Pour résumer, elle allie à la perfection l'expertise et le bon sens. En outre, elle a été secrétaire générale de la fédération iranienne... En Iran, pour avoir un tel poste, il faut être bien meilleure que les hommes ! C'est une pionnière qui fait beaucoup pour les droits de la femme dans son pays.
Short, qui fut également entraîneur de l'équipe nationale d'Iran, a précisé que jamais le hijab ne serait rendu obligatoire par l'actuelle équipe dirigeante de la FIDE :
The #hijab is not, and will never be, compulsory headwear under this #FIDE administration. https://t.co/H0euLLI2bc
— Nigel Short (@nigelshortchess) January 14, 2020
Bayat n'est pas la première iranienne à s'attirer les foudres du régime iranien pour un manquement à l'obligation du port du hijab. En 2017, la MI Dorsa Derakshani avait été exclue de l'équipe nationale pour avoir joué tête nue à l'open de Gibraltar. Et la GMF Mitra Hejazipour a subi le même sort le 2 janvier après les championnats du monde de rapide et de blitz. Elle s'était pourtant opposée au boycott du championnat de monde féminin qui s'était déroulé en Iran en 2016.
Hejazipour vit aujourd'hui à Brest. Le 2 janvier, la fédération iranienne a déclaré que seules la MI Sarasadat Khademalsharieh et la GMF Atousa Pourkashiyan faisaient encore partie de l'équipe nationale. Cependant, Khademalsharieh a depuis lors annoncé son retrait sur Instagram, se fendant d'un laconique "J'abandonne l'équipe nationale" ayant reçu plus 60 000 "J'aime".
Et ce n'est pas qu'aux échecs que I'lran perd ses athlètes : Kimia Alizadeh, médaille de bronze de taekwondo aux Jeux Olympiques de Rio et seule iranienne médaillée olympique de l'histoire, vient d’annoncer qu'elle s'installait aux Pays-Bas.
L'Iran conserve tout de même le champion du monde junior 2018 Parham Maghsoodloo, qui a pourtant récemment suscité quelques remous en jouant contre un israélien lors du tournoi de blitz du festival de Sitges. A l'époque, on avait supposé que la fédération avait abandonné l’interdiction d'affronter des représentants d’Israël, mais les directives qu'elle a donné à ses joueurs avant les championnats du monde de rapide et de blitz suggèrent le contraire... Plus que jamais, la situation des sportifs iraniens demeure complexe.