Candidats R2 : Naka revigoré, Firou miraculé
Cette seconde ronde du tournoi des Candidats a failli se transformer en bal des occasions ratées. Cependant, Hikaru Nakamura, à force de persévérance, a fini par terrasser un Teimour Radjabov vaillant mais acculé en défense trop longtemps pour tenir jusqu'au bout. Seul vainqueur, le streameur américain réalise la belle opération du jour en effaçant sa défaite initiale.
Il aurait largement pu partager les lauriers avec Richard Rapport si ce dernier n'avait pas été trahi par ses nerfs et sa technique. Alors qu'Alireza Firouzja se dirigeait vers une nulle tranquille avec les pièces noires, son instinct encore parfois défaillant en finale l'a conduit au bord du gouffre. Malgré plusieurs flèches à son arc pour accrocher la cible, le champion hongrois s'est montré bien trop maladroit, épargnant donc le prodige tricolore le jour de ses dix-neuf ans !
Les deux autres nulles du jour furent scellées bien plus tôt mais avec des scénarios radicalement différents. Jan-Krysztof Duda et Ding Liren ont semblé satisfaits de répéter pacifiquement les coups au moment d'atteindre le premier contrôle de temps après leurs désillusions de la veille.
Dans le choc entre les deux leaders, Fabiano Caruana a sorti une nouveauté très osée avec les noirs face à Ian Nepomniachtchi mais a privilégié la sécurité quand un audacieux sacrifice de qualité lui offrait des perspectives prometteuses pour s'envoler en tête.
Suivez les parties sur notre page évènements dédiée et le direct sur la Chess.com/TV ou sur nos chaines Twitch et YouTube.com/ChesscomLive avec aux commentaires Kévin Bordi, entouré des GMs Vlad Tkachiev, Fabien Libiszewski et Sébastien Mazé.
La retransmission en direct de la ronde 2 avec Kévin Bordi et le GM Vlad Tkachiev
Duda-Ding Liren 0.5-0.5
Deux des grands déçus de la première ronde se retrouvaient dans l'espoir de se rassurer. Après avoir laissé échappé de ses filets Rapport, le champion polonais doublait les blancs face au numéro 1 chinois, hors sujet vendredi.
Le manque de confiance des deux joueurs s'est de nouveau fait sentir durant leurs échanges sur un Giuoco Piano, marqué par la partition de la dame noire. Ding Liren a en effet joliment fait coulisser sa pièce maitresse via b8, en a7, au soutien de son fou le long de l'importante diagonale noire g1-a7. Après quoi, les deux joueurs se sont regardés dans le blanc des yeux sans vraiment oser entreprendre d'action énergique. Duda n'a rien obtenu de l'ouverture et s'est fait bloquer les poussées d4, puis f5, par un Ding Liren bien décidé à éviter l'hémorragie.
Finalement au moment d'atteindre le quarantième coup, synonyme de rajout de temps et également de droit de faire nulle par accord mutuel, les deux joueurs ont trouvé un moyen de répéter la position.
Nepomniachtchi-Caruana 0.5-0.5
Les deux seuls joueurs à avoir commencé un tournoi des Candidats par deux victoires sont Max Euwe en 1953 et Tigran Petrosian en 1959. Nepomniachtchi et Caruana allaient-ils se greffer à cette courte liste un demi siècle plus tard ? À priori, pas de quoi s'emballer outre mesure au vue des statistiques : les deux joueurs restaient sur 9 nulles dans leur 10 derniers duels en classique.
Cependant, très vite, une nouveauté de Caruana qualifiée en direct de "révolutionnaire" par Vlad sur un autre Giuoco Piano laissa présager d'un combat des plus épicés.
10...Cg4 était un énorme pari. [...] C'est un coup à la limite d'être perdant, probablement pas tout à fait mauvais, mais certainement très douteux, je comptais donc sur l'effet de surprise."
Le cocktail maison de Caruana se poursuivit par une manœuvre de dame cette fois très originale, puisque rapatriée en fianchetto en g7 à la manière d'un fou.
Décontenancé, Nepo a peiné à réagir au point de compter un retard inhabituel à la pendule pour le Lucky Luke des échecs modernes. C'est donc assez logiquement que Caruana a commencé à prendre l'initiative en milieu de jeu.
Malheureusement pour le spectacle, alors qu'il pouvait pousser sa stratégie à risques jusqu'au bout par un audacieux sacrifice de qualité, le champion américain a décidé de sagement répéter les coups.
Rapport-Firouzja 0.5-0.5
Fort d'un éventail de premiers coups aussi garni que son placard à chemises fleuries, Rapport est un adversaire contre qui il est quasiment impossible de se préparer spécifiquement. Aussi, sur la poussée du pion roi du joueur hongrois, Alireza a répliqué sans hésiter avec la Sicilienne, démontrant encore une fois ses ambitions de jouer pour le gain avec les deux couleurs.
Après la classique séquence centrale 3.d4 cxd4, Rapport a décidé de reprendre le pion avec la dame pour calmer les ardeurs de son jeune rival. S'attendant certainement au populaire 5...Fd7, il espérait lui imposer un étau de Maroczy, caractérisé par l'avancée du pion c4 afin de contrôler à double tour la case d5. Alireza ne l'entendant pas de cette oreille, opta pour le plus rare 5...a6, forçant l'échange du fou contre le cavalier.
Comme pour effacer son ouverture catastrophique contre Duda lors de la ronde 1, Rapport prit la décision d'entrer dans une finale très similaire mais couleurs inversées - les erreurs stratégiques qu'il avait commises côté noirs en moins.
En effet, la paire de fous d'Alireza venait compenser sa structure de pions inférieure et son choix de jouer l'élégant 14...Ta6 pour défendre sa faiblesse en c6 avait de quoi remplir d'optimisme le camp français.
Les débats étaient nettement moins animés que lors de son entrée en matière houleuse face à Radjabov et un partage du point assez tranquille se profilait.
Quand soudain, au moment des simplifications, l'artiste chartrain commença à s'emmêler les pinceaux.
Ce choix de finale à quatre tours se révélait très dangereux et la toile des noirs s'éventra carrément quand les dévoreuses de colonnes pénétrèrent dans la septième rangée. Si ce duo infernal aurait dû lui garantir la victoire, Rapport s'est montré trop brouillon pour parachever son œuvre.
Après avoir survécu à un cheveux près, Alireza émerge donc de ses deux premières rondes avec les noirs avec le score satisfaisant de 50%.
Il aura l'occasion de presser demain pour la première fois avec les blancs face au vainqueur du marathon du jour !
L'analyse pointue en vidéo par nos deux animateurs du jour
Nakamura-Radjabov 1-0
Bien que battu la veille, Nakamura n'a pas manqué à ses obligations de star du streaming en analysant sa partie sur sa chaine ! Nul doute que les nombreux encouragements de ses fans ont participé à son humeur guerrière face à Radjabov.
Dans une Espagnole assez originale, le GM azéri a décidé de sacrifier un pion qu'il espérait compenser en finale avec sa paire de fous. Si Naka a bien accepté l'offrande, il l'a fait en gardant les dames sur l'échiquier.
Néanmoins, un peu comme dans un Gambit Marshall, les noirs ont rapidement trouvé suffisamment d'activité pour clamer l'égalité. À la manière de son meilleur ennemi, Magnus Carlsen, le champion américain a continué de tourner dans une finale avec tour et cavalier contre tour et fou, créant petit à petit des points de rupture chez son rival.
Après une très longue bataille pas toujours parfaite d'un point de vue technique - mais nos gladiateurs ont le sang chaud contrairement aux froides machines - l'azéri a fini par céder sous les coups de butoir. Nakamura a même paru terminé ce marathon presque plus frais qu'il ne l'avait commencé, récompense peut-être de son apparente excellente condition physique.
Classement
Appariements
Précédemment :
Auteur, traducteur, entraineur, créateur de contenu et streameur pour Chess.com, je ne prends pas de nouveaux élèves en ce moment.
Également auteur des livres Gagner aux échecs (même quand on débute) et Progresser aux échecs avec les plus grands joueurs de l'histoire en collaboration avec Kévin Bordi 
.
