Aronian bat MVL au départage et remporte l'Open de Gibraltar
Retour victorieux pour Levon Aronian qui, treize ans après son dernier open, s'impose de nouveau à Gibraltar !
C'est lui qui s'adjuge les 25 000£ promises au vainqueur du 16ème Tradewise Gibraltar Chess Festival. Après avoir annulé lors de la dixième ronde contre le vainqueur sortant, Hikaru Nakamura, il a ensuite battu Richard Rapport puis Maxime Vachier-Lagrave en départages. Le français a quand à lui disposé de Nakamura en demi-finale, avant de chuter sur l'obstacle arménien. En 2005, lors de sa dernière participation à un open, Aronian avait ici-même terminé premier ex-aequo.
"J'ai encore plus de respect pour Hikaru qu'avant" a plaisanté Aronian dans son discours post-tournoi, en faisait référence à la difficulté de gagner un tel open. Après avoir commencé doucement, avec une nulle dans la première ronde, il a réussi à recoller au peloton de tête dans les derniers instants.
Levon Aronian et Hikaru Nakamura ont fait nulle dans la dernière ronde, mais il ne pouvait y avoir qu'un champion. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Nakamura, en quête d'un quatrième sacre de suite sur le rocher, est cette fois tombé sur plus fort(s) que lui. La cérémonie de clôture ayant terminé après minuit, l'événement s'est techniquement terminé le jour de la marmotte (cf. le film Un jour sans fin). Mais Maxime Vachier-Lagrave a déployé tout son talent pour empêcher l'américain de revivre encore une fois la même journée victorieuse.
La GMI Pia Cramling, 54 ans, a été récompensée de son magnifique parcours par un premier prix féminin de 15 000£.
Cette longue journée d'échecs aurait pu se terminer cinq heures plus tôt. Avec cinq joueurs à 7/9 dans le groupe de tête en début de journée, Aronian avait de bonnes chances de s'imposer, lui qui jouait avec les pièces blanches contre Nakamura.
Et le règlement n'a pas permis aux joueurs de relâcher la pression. La possibilité de voir un groupe de 10 hommes aux avant-postes était certes réelle, mais seuls les quatre meilleurs performeurs Elo se voyaient offrir une place en départages. Personne ne pouvait se permettre de signer une nulle rapide. En fin de compte, sept joueurs terminent à 7.5/10, mais trois d'entre eux ne purent jouer les départages en vertu de leur plus faible perf Elo.
Après la dixième ronde, Nakamura et MVL font la queue pour passer en interview. Maxime semble vouloir dire à Hikaru qu'il veut sa revanche de l'année précédente ! | Photo : John Saunders/Gibraltar Chess.
Au début de la journée, Nakamura nous révélait qu'il lui faudrait sans doute l'emporter pour s'assurer de gagner son quatrième titre de suite à Gibraltar. Ayant gagné ses cinq premières rondes et donc affronté l'opposition la plus coriace au cours de la seconde moitié du tournoi, sa perf Elo était pourtant ahurissante, mais il craignait de se voir déborder par un autre membre du club des 7/9.
Le prince de Gibralter a donc sorti la Pirc, qui a d'ailleurs été jouée à plusieurs reprises durant le tournoi (Aronian lui-même l'ayant essayée sans succès à la première ronde).
L'arménien est parvenu à mettre en évidence de sérieuses faiblesses sur l'aile roi de l'américain, mais las ! Il bâcla le travail. A cause d'une erreur de calcul, il sacrifia une tour pour un mat inexistant, et dut se contenter d'une nulle par échec perpétuel. Après deux heures de pause, les quatre heureux élus repartirent au combat pour près de trois heures de départages !
"J'ai vraiment fait une mauvaise partie" a reconnu Nakamura. "Lev a joué des coups de principe, mais il s'est un peu précipité à la fin".
"Le début de journée était décevant, car j'ai gâché une position prometteuse contre Hikaru" a reconnu Aronian. Il a ensuite déjeuné en compagnie de Boris Gelfand, dont il écoute toujours religieusement les conseils.
Aucun des autres leaders ne parvenait à gagner le point complet pour coiffer les autres au poteau. Maxime annulait contre Rapport au deuxième échiquier tandis que Danil Dubov, le dernier homme à 7/9, perdait contre Le Quang Liem.
Bientôt officiellement MI, le jeune espagnol Lance Henderson de la Fuente a gagné sa dernière partie. Il termine à 1,5 point du groupe de tête, et meilleur jeune. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Pour Aronian, l'attente fut difficile. Des quatre joueurs finalement qualifiés pour le départage, il était celui avec la perf Elo la plus basse. Si Dubov annulait, si la partie Wang Hao-David Howell était décisive, ou si Mikhail Antipov s'imposait, Aronian était éliminé.
Sans faire de bruit, Pia Cramling (6.5/10) devance Kateryna Lagno (6.5/10 également) au départage et remporte le premier prix féminin. Elle remportera également la timbale à l'applaudimètre lors de la cérémonie de clôture ! | Photo: John Saunders/Gibraltar Chess.
Aronian se voyait déjà sur le chemin du retour, mais tous les résultats furent en sa faveur. Dubov et Antipov perdirent leurs parties, et Wang et Howell ne parvinrent pas à se départager malgré un long combat. Howell déclara d'ailleurs après leur rencontre qu'il aurait pu forcer une finale Tour + Fou contre Tour, qui aurait encore prolongé le suspense pendant une cinquantaine de coups !
Les sept hommes à 7,5/10 furent donc : Nakamura, Rapport, Vachier-Lagrave, Aronian, et, loupant les départages à cause de leur perf Elo inférieure, Nikita Vitiugov, Michael Adams, et Le Quang Liem .
Le jeune loup face au vieux renard en demi-finale. | Photo: John Saunders/Gibraltar Chess.
Les demi-finales, tirées au sort, opposèrent Aronian à Rapport d'un côté et Vachier-Lagrave à Nakamura de l'autre. Il était cocasse de voir les têtes des spectateurs se déplacer de droite à gauche, comme pour un match de tennis !
"Lev" signifie "lion" en russe. Est-ce pour cela qu'Aronian s'est présenté avec un t-shirt orné d'un superbe félin multicolore à quatre yeux ?
"Pour jouer en blitz, il vaut mieux porter des vêtements confortables" a-t-il réfuté. "D'où le choix du t-shirt."
Deux yeux sur sa partie et deux autres sur celle qui se déroule derrière lui ? | Photo: John Saunders/Gibraltar Chess.
C'est d'ailleurs l'arménien qui tira le premier dans la première partie 10/5. Ses deux cavaliers se sont avérés plus dangereux que la paire de fous adverse, comme c'est souvent le cas en blitz.
Rapport changea de tactique dans la seconde partie. Ayant à tout prix besoin d'une victoire avec les noirs, il joua avec une vélocité incroyable, profitant un moment de huit minutes à la pendule contre deux à son adversaire.
Le tirage des demi-finales. | Photo: John Saunders/Gibraltar Chess.
Mais Aronian s'était gardé juste assez de temps pour se frayer un passage dans les complications. Le hongrois était bientôt à court de munitions, et Aronian se qualifiait pour la finale sur le score de 2-0.
"C'était un match très difficile" a reconnu Aronian après sa victoire. "Je n'étais pas en confiance, il était mieux dans les deux parties."
"Quand je n'ai besoin que d'une nulle, je suis beaucoup moins fort que quand je joue pour gagner !"
En outre, Levon pouvait se féliciter de profiter d'une pause 20 minutes plus longue que son futur rival. En effet, juste derrière lui, Maxime et Nakamura annulaient toutes leurs parties, comme en finale l'année dernière.
Beaucoup de joueurs sont tombés malades pendant la semaine de tournoi, et Hikaru Nakamura ne fut pas épargné. Mais de son propre aveu, c'est le manque de sommeil qui l'a le plus affecté. | Photo : John Saunders/Gibraltar Chess.
Ils avaient alors annulé quatre fois avant que Nakamura ne s'adjuge le titre en Armageddon. Cette fois, ils annulèrent leurs deux parties en 10/5, avant que Maxime ne survive à une finale complètement dingue pour gagner la première 3/2.
Il s'agissait de la première défaite de Nakamura, à n'importe quelle cadence, en quatre ans à Gibraltar.
Avant la deuxième partie, Nakamura se rencentra sur lui-même, s'isolant et réfléchissant à l'opportunité ratée par son armée de pions passés.
Lorsque le match reprit, le duo offrit aux spectateurs un spectacle de haute volée, avec ce qui fut peut-être la partie la plus folle des départages. Cette fois-ci, c'est Nakamura qui avait la pièce en plus, et MVL qui maniait les pions passés. L'évaluation passait de -3 à +5 d'un coup à l'autre, au milieu d'une furia tactique d'une densité rarement vue.
Un moment, on crut que Nakamura allait devoir mater avec fou+cavalier, mais le français trouva une ressource lui permettant de tout échanger au lieu de sacrifier sa dernière pièce contre un pion blanc.
Pour Nakamura, c'était la fin de la route. En serrant la main de Maxime, il lui indiqua un gain possible pour les noirs lors de la partie précédente.
Mais le français n'avait pas le temps de s'attarder, car on venait de convoquer Aronian, qui revenait justement pour jouer la finale. Un duel qui rappelait bien entendu l'incroyable demi-finale de coupe du monde, en septembre dernier.
Les deux hommes commencèrent par annuler leurs deux parties en 10/5, puis la première 3/2. Mais il était écrit que cette année, le titre ne se jouerait pas en Armageddon. Comme a Tbilissi, c'est Aronian qui allait tirer son épingle du jeu et s'imposer au terme d'un duel homérique.
Déception pour le clan français : Aronian s'impose au bout du suspense. | Photo : John Saunders/Gibraltar Chess.
"J'ai eu du mal à convertir, mais il avait trop de faiblesses. Ma seul faiblesse, c'est qu'il ne me restait que huit secondes."
L'analyse du jour par le GMI Dejan Bojkov
Aronian a déclaré à Chess.com "avoir eu un peu la tremblotte" lors de ces parties en 3/2, mais cela ne s'est absolument pas vu de l'extérieur. Votre serviteur, installé au plus proche de l'action, ne l'a entendu taper fort sur la pendule qu'une seule fois, au paroxysme de l'action.
Maxime, toujours beau joueur, s'est prêté au jeu de l'interview malgré la défaite. | Photo : John Saunders/Gibraltar Chess.
Pour le vainqueur, ce tournoi était le dernier échauffement avant le Tournoi des Candidats, mais aussi une occasion de profiter du grand air. On l'a souvent vu se balader sur le rocher le matin, avant les rondes, écoutant des podcasts en gravissant les très anciens escaliers de la vieille ville.
"J'ai passé deux semaines formidable" a-t-il déclaré. "J'ai pu visiter le sanctuaire, j'ai vu les lémuriens, j'ai vu les singes... C'était une expérience très... bestiale !"
Interview en anglais du vainqueur, Levon Aronian
Parlons un peu des chasseurs de normes. L'arbitre international, le français Laurent Freyd, nous a envoyé une longue liste, qui pourrait d'ailleurs constituer un record.
Des normes de GMI ont été attribuées aux MF Andrey Esipenko et Prithu Gupta ainsi qu'aux MI Nino Batsiashvili, Lance Handerson de La Fuente et Adam Kozak.
Esipenko devrait déjà recevoir son titre très bientôt, tandis que pour Batsiashvili, cette troisième et dernière norme devrait lui valoir le titre au prochain congrès.
Des normes de MI ont été attribuées à la GMF Aleksandra Goryachkina ainsi qu'aux MF Johnathan Bakalchuk, Alan Tate, Raunak Sadhwani, Eric de Haan, et Andres Merario.
Bravo pour la norme de MI ! | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Des normes de MIF ont été décernées à la MF Gabriela Antova et à la MFF Daniela Movileanu. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Gibraltar Masters 2018 | Classement final (Top 25)
Cl. | TNo | Fed | Titre | Nom | Elo | Pts. | Perf |
1 | 3 | GMI | Nakamura Hikaru | 2781 | 7.5 | 2822 | |
2 | 12 | GMI | Rapport Richard | 2700 | 7.5 | 2763 | |
3 | 2 | GMI | Vachier-Lagrave Maxime | 2793 | 7.5 | 2759 | |
4 | 1 | GMI | Aronian Levon | 2797 | 7.5 | 2746 | |
5 | 7 | GMI | Vitiugov Nikita | 2732 | 7.5 | 2731 | |
6 | 11 | GMI | Adams Michael | 2709 | 7.5 | 2731 | |
7 | 6 | GMI | Le Quang Liem | 2737 | 7.5 | 2713 | |
8 | 16 | GMI | Howell David W L | 2682 | 7 | 2760 | |
9 | 31 | GMI | Gupta Abhijeet | 2610 | 7 | 2732 | |
10 | 81 | GMI | Debashis Das | 2501 | 7 | 2728 | |
11 | 9 | GMI | Duda Jan-Krzysztof | 2724 | 7 | 2713 | |
12 | 33 | GMI | Oparin Grigoriy | 2607 | 7 | 2713 | |
13 | 10 | GMI | Wang Hao | 2711 | 7 | 2710 | |
14 | 32 | GMI | Vocaturo Daniele | 2609 | 7 | 2679 | |
15 | 14 | GMI | Gelfand Boris | 2697 | 7 | 2673 | |
16 | 25 | GMI | Sethuraman S.P. | 2646 | 7 | 2672 | |
17 | 19 | GMI | Sutovsky Emil | 2673 | 7 | 2668 | |
18 | 15 | GMI | Dubov Daniil | 2694 | 7 | 2658 | |
19 | 116 | Henderson Lance | 2429 | 7 | 2642 | ||
20 | 93 | GMI | Kobo Ori | 2477 | 7 | 2638 | |
21 | 13 | GMI | Cheparinov Ivan | 2699 | 7 | 2634 | |
22 | 18 | GMI | Motylev Alexander | 2673 | 7 | 2633 | |
23 | 45 | GMI | Narayanan S. L. | 2573 | 7 | 2633 | |
24 | 66 | GMI | Epishin Vladimir | 2536 | 7 | 2595 | |
25 | 35 | GMI | Bindrich Falko | 2605 | 7 | 2594 |
Les résultats complets sont disponibles ici.
Le 16ème Tradewise Gibraltar Chess Festival s'est déroulé du 23 janvier au 1er février à l'hôtel Caleta de Gibraltar. Ce tournoi open en 10 rondes était commenté par le GMI Simon Williams et la MI Jovanka Houska. Leurs commentaires ainsi que les interviews de la MI Tania Sachdev sont à retrouver sur Twitch.tv/Chess ou sur le site officiel de l'événement.
Elisabeth Paehtz, Anna Muzychuk, Lei Tingjie, Nino Batsiashvili et Valentina Gunina. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Sarah Hoolt, Anastasia Paramzina, Lilit Mkrtchian, Dinara Saduakassova et Mariya Muzychuk. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Irine Sukandar, Bela Khotenashvili, Alexandra Kosteniuk, Antoaneta Stefanova, Aleksandra Goryachkina et Ticia Gara | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Michael Adams, Nikita Vitiugov et Le Quang Liem. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Wang Hao, Daniil Dubov, Boris Gelfand, S.P Sethuraman, Daniele Vocaturo et Stuart Conquest. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.
Une famille en or qui revient jouer chaque année : Pia Cramling, Anna Cramling-Bellon, et Juan Bellon Lopez | Photo : Maria Emelianova/Chess.co
James Humphreys (Tradewise), Brian Callaghan (organisateur) et Levon Aronian. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com.