Abdusattorov brille, Carlsen dans la tourmente
Il s'agissait de leur toute première rencontre en classique. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'à 18 ans seulement, Nodirbek Abdusattorov a déjà tout d'un grand. Ce jeudi, il venait à bout de Magnus Carlsen avec les pièces noires à l'occasion de la cinquième ronde du Tata Steel Chess 2023. Déjà vainqueur la veille de Parham Maghsoodloo, le jeune ouzbek faisait la passe de deux tandis que son adversaire perdait deux parties de suite pour la première fois depuis... Le Norway Chess 2015 ! Abdusattorov passe donc seul leader avec un demi-point d'avance sur Anish Giri.
L'iranien Parham Maghsoodloo rebondissait grâce à une victoire pleine de panache contre Jorden van Foreest. Levon Aronian ouvrait également son compteur de victoires en triomphant de Vincent Keymer.
Dans le tournoi Challengers, le turc Mustafa Yilmaz est désormais seul leader grâce à une troisième victoire de rang.
La retransmission de la cinquième ronde avec aux commentaires les MF Stéphane Bressac, Samy Robin et Lori Budak.
Cette cinquième ronde fut notable à plus d'un titre. Tout d'abord, les joueurs sortaient d'une journée de repos au cours de laquelle ils ont pu s'essayer à un sport complètement différent dans l'antre du stade Johan Cruyff.
💙| What to do on a rest day? Play football at @telstar1963nv! ⚽ pic.twitter.com/KjH3fXmwno
— Tata Steel Chess (@tatasteelchess) January 18, 2023
Traditional football match at @tatasteelchess:
— Peter Heine Nielsen (@PHChess) January 18, 2023
Team Van Wely vs. Team Carlsen.
My role was to defend Ding Liren!
Result was a 3-3 draw. pic.twitter.com/y6elMBV2Gr
Equipe Van Wely contre équipe Carlsen. Résultat final : 3-3 !
Et le lendemain, la ronde se jouait exceptionnellement dans l'enceinte même du stade !
♟| Round 5 in the @cruijffarena starts in 15 minutes! #TataSteelChess pic.twitter.com/tgb7hLRIdQ
— Tata Steel Chess (@tatasteelchess) January 19, 2023
Et si l'objectif de cette journée de "repos" était de faire repartir les joueurs sur des bases saines et fraiches, on peut dire qu'il fut rempli à 100%. Dès le début de cette cinquième ronde, chacun était prêt au combat !
Dans le derby américain Caruana - Wesley So, le vainqueur 2020 du tournoi s'aventurait sur les chemins tortueux de la partie écossaise, vestige de l'époque romantique où la vitesse de développement était paradigme. Notre commentateur américain Daniel Naroditsky était aux anges : "J'adore quand les joueurs nous ressortent des ouvertures passées de mode, car on ne sait jamais ce qu'ils nous ont préparé !"
Dans une veine agressive, les deux joueurs roquaient chacun de leur côté, et l'italo-américain ouvrait bientôt la colonne h pour y faire jouer ses pièces lourdes. Une préparation "terrifiante" d'après notre analyste.
La préparation de Fabiano Caruana est terrifiante.
-Daniel Naroditsky
So se défendait avec vigueur, ne perdant jamais le contrôle. Il recyclait opportunément son fou sur la diagonale c8-h3 pour empêcher tactiquement la dame blanche de rejoindre la colonne h. Caruana jouait le pratique mais prudent 21.Cxc4, et son adversaire forçait l'échange des dames, calmant le ton de la partie. Les deux joueurs finissaient par répéter les coups juste après le premier contrôle de temps.
Arjun Erigaisi et Ding Liren nous offraient tour à tour des attaques inspirées et des défenses pleines de ressources. Dans la partie italienne, le chinois chassait le fou g5 au mépris de la sécurité de son roi, et poussait bientôt sur l'aile roi avec les coups g4 et h5. L'indien répondait par un sacrifice de pion central joué à tempo, impressionnant notre analyste Jovanka Houska : "Vous savez ce qui me fait le plus peur ? C'est qu'Arjun a plus temps à la pendule après le 14ème coup qu'au premier. Quand on vous blitz un coup comme 14.Tb1, vous savez que vous êtes rentrés dans une redoutable préparation."
Ding contre-attaquait dans son style brutal, laissant son pion g4 sans protection et ouvrant le centre par 19...d5!?. Un coup explosif qui lui ouvrait toutes les lignes pour ses pièces à longue-portée. Le fou a7 était bientôt rejoint par la tour a8 dans sa mission de sapage du pion f2.
En guise de protection, Arjun choisissait le prudent 26.Cf3 en lieu et place de l'actif 26.Ce4, ce qui offrait à Ding la possibilité d'une belle manœuvre Ta5-f5, activant sa dernière pièce non développée sur la colonne f. Toutes ses forces désormais focalisées sur l'aile roi, Liren lançait l'assaut sans trembler. "Ding est une bête : il survit sans sourciller à la préparation adverse, récupère l'initiative, puis attaque comme si de rien n'était" se pâmait Naroditsky en cabine.
Dans les dernières minutes de la partie, le chinois déchainait une attaque apocalyptique contre le roi noir, mais Erigaisi, à deux doigts de se faire mater, faisait preuve de créativité et trouvait une défense inspirée en zeitnot. Un superbe duel aboutissant sur un résultat logique.
Maghsoodloo et Van Foreest se débarrassaient vite du centre dans le gambit dame accepté. Le GMI batave envoyait tour à tour ses pions e et c dans l'antre de la bête pour ouvrir un maximum de lignes. L'iranien, assoiffé de victoire, contrait en acceptant les pions et en sacrifiant un cavalier pour créer un puissant pion passé.
Maghsoodloo sacrifices a knight out of the opening, but Van Foreest is as resourceful as ever.
— ChesscomLive (@ChesscomLive) January 19, 2023
Our commentators break down what happened over the last moves 👇. #TataSteelChess pic.twitter.com/y6ozCfWioN
La partie semblait se calmer lorsque le jeune hollandais rendait le cavalier, mais Parham n'avait pas dit son dernier mot, et sacrifiait un pion central pour retourner en eaux troubles.
Le match Carlsen - Abdusattorov prenait des allures de clash générationnel. Le jeune ouzbek est en effet né en 2004, année où Carlsen fit ses débuts à Wijk aan Zee. Les deux hommes, bien qu'ils ne se soient jusque-là jamais affronté en cadence classique, ont développé une belle rivalité en rapide, Abdusattorov battant Magnus en 2021 pour s'octroyer le titre mondial, le norvégien lui rendant la pareille en 2022.
L'ouverture : une anglaise symétrique. Jovanka Houska nous faisait remarquer que dans les structures tranquille, "l'énergie de la position se transférait aux pièces". Carlsen, semblant l'avoir entendu, sacrifiait rapidement une qualité pour contrôler la diagonale a3-f8 et empêcher son adversaire de faire petit roque. Sans trembler, Nodirbek acceptait l'offrande et envoyait son roi à l'aile dame. Le champion du monde changeait alors son fusil d'épaule et empochait un pion de l'aile roi.
Lorsque Magnus reculait sa dame au lieu de jouer l'absurde (mais pourtant adoubé par l'ordinateur) 18.Dxh7, l'ouzbek s'emparait de l'initiative pour ne plus la relâcher. Un coup dynamique après l'autre, il échangeait les pièces pour entrer dans une finale de dames très avantageuse, et convertissait sans trembler face au plus grand joueur de l'histoire.
Une performance "taille patron" analysée en détail ci-dessous par le GMI Rafael Leitao.
En conférence de presse, Abdusattorov se montrait lucide sur le sacrifice de qualité du norvégien : "Je l'avais évalué comme assez douteux, les compensations sont loin d'être évidentes. Quand il prend en g7, il m'offre une tour très forte sur la colonne g. Je pense qu'il a sous-estimé le coup grand roque."
♟| Nodirbek Abdusattorov post round interview after he delivers Carlsen's 2nd loss in a row! #TataSteelChess https://t.co/cRpT784Qlq
— Tata Steel Chess (@tatasteelchess) January 19, 2023
Maxime Vachier-Lagrave, loin des yeux mais jamais loin du cœur, ajoutait son grain de sable sur les réseaux sociaux :
Les finales de dames sont très souvent nulles, et les nuances sont généralement impossible à appréhender. Cette position, par exemple, est nulle quelque soit le trait. Je suis sûr que Magnus croyait en ses chances. - MVL
In many instances this queen endgame is a draw, but the nuances are almost impossible to comprehend. This is a draw whoever to move, so I’m sure Magnus knew he had drawing chances there pic.twitter.com/Blm1kA5rLG
— MVL (@Vachier_Lagrave) January 19, 2023
Richard Rapport parvenait à résoudre tous ses problèmes dans la défense Grünfeld face à Gukesh D. Les deux joueurs entraient dans une finale égale et signaient la nulle au 47ème coup.
Après avoir respectivement dominé les numéros un et deux mondiaux à la ronde précédente, Giri et Praggnanandhaa Rameshbabbu entraient rapidement dans une finale de tours dans laquelle chacun avait ses chances. La position restait équilibrée. Après l'échange de quelques pions et de deux tours, les joueurs signaient eux aussi la nulle au 47ème.
Aronian était le dernier à terminer, remportant sa partie face à Keymer à l'usure (79 coups) après une longue finale de pièces mineures. Une partie analysée pour vous ci-dessous par le MI Adrian Petrisor.
Aronian wins today's last game with exquisite endgame technique! His first win of the tournament leaves him with a 3/5 score, a point behind the leader Abdusattorov.#TataSteelChess pic.twitter.com/7qIip1ZbG7
— ChesscomLive (@ChesscomLive) January 19, 2023
Dans le tournoi Challengers, Yilmaz battait le voisin iranien Amin Tabatabaei avec les pièces noirs, dominant son adversaire tactiquement après un sacrifice de qualité douteux de ce dernier. Il est désormais seul en tête avec quatre points. Javokhir Sindarov convertissait une longue finale de tour contre Jergus Pechac, tandis que le MI Thomas Beerdsen retournait une position perdante contre sa compatriote Eline Roebers. Avec une seule minute à la pendule contre 23, la jeune joueuse de 17 ans commettait l'erreur fatale dans une position complexe.
Résultats - Masters, Ronde 5
Classement provisoire
Appariements - Masters, Ronde 6
Toutes les parties - Masters, Ronde 5
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