Roquer sous le feu de l'ennemi
Même les débutants savent que le roque est un élément stratégique primordial de l'ouverture. Le roi s'éloigne du centre et de ses dangers pour se réfugies dans un coquet château, dont les murs sont une tour et trois pions...
Mais parfois, la maison du roi n'est pas des plus confortables, comme, par exemple, quand le toit de pions est percé. Dans ce cas, on n'a pas trop envie d'aller s'y abriter...
Fischer via Wikipedia.
Pourtant, dans cette célèbre partie, Fischer, lui, n'a pas hésite :
Dans son livre Mes 60 meilleures parties, Fischer écrit :
"Petrossian et Tal tournaient autour de l'échiquier. Petrossian fit une grimace qui me parut vouloir dire : "Les noirs peuvent-ils faire ça et survivre ?"
Fischer admet bien que la position des noirs ne fait pas envie, mais elle n'est pas sans points positifs. La paire de fous, un beau cavalier en e5, et une masse de pions compacte. Et je suis surpris qu'il n'ait pas mentionné la colonne ouverte g ! Il s'avère que cette colonne est le principal atout des noirs dans cette partie à roques opposés.
Dans les deux parties suivantes, les noirs créent justement de terribles menaces sur le roi blanc grâce à cette fameuse colonne g.
Bien entendu, ce n'est pas Fischer qui a inventé ce concept stratégique. Observez par exemple cette célèbre partie :
Mais c'est bien le livre de Fischer et le commentaire mentionné plus haut qui ont rendu "le roque sous le feu de l'ennemi" populaire dans la défense sicilienne. Dans des positions à roques opposés, les noirs ne peuvent évidemment pas attaquer le roi blanc sur la colonne g. Cependant, en transférant leur tour en g8, ils améliorent grandement leur chance de défendre leur roi et de gagner la partie grâce à une puissante contre-attaque sur l'aile roi.
Une stratégie qui a notamment eu les faveurs du GMI Ilya Smirin :
Attention néanmoins aux conclusions hâtives : ce concept n'est pas infaillible, et certainement pas universel. Le roi peut très rapidement se retrouver vulnérable. Fischer lui-même mentionne cette superbe partie, en forme d'avertissement :
Lorsque Anatoly Karpov se retrouva dos au mur lors de sa demi-finale des candidats contre Nigel Short, en 1992, il joua ce système, et découvrit bien vite qu'il recelait de nombreux dangers pour les noirs :
Il est préférable de roquer de cette manière lorsque les deux camps ont fait petit roque. Cela garantit une plus grande sécurité au roi noir, et permet d'utiliser la colonne g pour attaquer !
Dans un ancien article (en anglais), j'ai tenté d'expliquer pourquoi il faudrait créer des classements pour les parties, et même pour les ouvertures. Je donnerais donc à ce système un classement de NC-17, ce qui signifie qu'il ne convient pas aux joueurs classés en dessous de 1300 FIDE. A vos échiquiers !