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Mon idée folle pour réduire le nombre de nulles aux échecs
Le GM Serper réfléchit à comment rendre les échecs plus excitants.

Mon idée folle pour réduire le nombre de nulles aux échecs

Gserper
| 342 | Autour des échecs

La proposition récente faite par Vladimir Kramnik est assez fascinante.

Nous nous posons tous parfois des questions bizarres du type "et si... les gens pouvaient voler ?" ou "et si la gravité n'existait pas ?".

Grâce à Kramnik et AlphaZero, nous savons désormais ce qui se passerait aux échecs si le roque était aboli.

Voici une partie jouée avec de telles règles et commentée par Kramnik lui-même :

Kramnik souligne à juste titre que dans cette variante des coups comme h2-h4 et a2-a4 deviendront des manœuvres classiques et qu'abriter son roi en f1 sera aussi courant que le roque aujourd'hui. Qui plus est, le russe était déjà en terrain conquis puisqu'il s'essayait déjà à ce type de stratégie durant sa carrière sans que son adversaire ne lui impose pourtant une telle contrainte :

Bien que l'idée de "d'interdire le roque" soit très intéressante d'un point de vue expérimental, car elle aide à mieux comprendre la nature des échecs, je ne lui vois aucun avenir pratique. Revenons sur le préambule de l'article de Kramnik : 

Le nombre de parties décisives dans les supers tournois est sur le déclin tout comme celles que je qualifierais de "créatives". Le match de Championnat du Monde 2018 entre Magnus Carlsen et Fabiano Caruana en est la plus triste illustration avec ses treize nulles en autant de parties.

Kramnik parle évidemment des échecs au plus haut niveau. Cependant, la grande majorité des tournois dans le monde ne souffrent pas de problèmes de ce genre. Par conséquent, il serait très douteux que 99,99% des joueurs voient les règles du jeu changer pour rendre les parties de l'élite plus excitantes.

En outre, une décision aussi radicale condamneraient des milliers de parties classiques que nous avons d'ores et déjà étudiées. Imaginez si vous montrez la "Partie de l'Opéra" à des enfants et qu'ils vous demandent soudainement pourquoi Paul Morphy a déplacé son roi de deux cases vers la gauche et que sa tour a sauté, sans crier gare, de trois cases vers la droite !

La demi-solution (comme abolir le roque dans les supers tournois) ne serait pas meilleure. Il faut garder en tête que des milliers d'apprentis joueurs d'échecs essaient de progresser à partir de parties jouées par des super-grands maîtres. Il serait donc étrange que les meilleurs joueurs jouent à un jeu différent du reste du monde.

chess clock

J'ai moi-même une proposition à vous faire, mais elle est tellement saugrenue que je suis sûr que beaucoup de lecteurs me traiteront de fou. Permettez-moi de commencer par un bref rappel historique :

Quand les pendules ont été introduites dans le super-tournoi de Londres de 1883, elles ont d'abord été sources de grande confusion, avant d'au fil du temps, devenir la réalité du jeu en tournoi. Pendant des décennies, tous les tournois officiels ont été disputés avec ce que l'on appelait "la cadence de Capablanca" : 2h30 pour 40 coups et la partie était alors ajournée.

Le monde a radicalement changé depuis cette époque et aujourd'hui nous jouons avec un contrôle de temps beaucoup plus rapide. L'ajournement des parties a été aboli et au lieu de cela, le départage de type "mort subite" a été inventé. Vous voyez, malgré tous les développements de la théorie des échecs au cours des 100 dernières années, le seul bouleversement dans notre jeu est intervenu sur sa durée. Les règles en elles-mêmes sont restées identiques depuis environ 400 ans. 

En attendant, n'oublions pas que le temps n'est pas la seule dimension des échecs. Une autre, tout aussi évidente, est le nombre de coups. On peut dire "Oh, c'était une longue partie, elle a duré presque cinq heures", ou on peut transmettre le même message en disant qu'elle a dépassé les 70 coups.

En effet, en plus des contraintes de temps dans les tournois d'échecs, nous avons aussi des contraintes liées aux coups (la règle des 50 coups). Alors, que se passerait-il si on les modifiait légèrement ?

Voici ma proposition. Une nulle ne pourrait intervenir que dans les 3 cas suivants :

1. Matériel insuffisant

C'est un cas assez évident. Dans des situations comme roi contre roi ou roi et fou contre roi etc, c'est une nulle automatique :

2. Le pat

Cela met aussi évidement un terme immédiat à la partie :

3. L'échec perpétuel

Voilà une situation où un roi ne peut s'échapper des échecs :

Il n'y aurait pas d'autre moyen de sceller la nulle. Notez qu'une triple répétition ne conduirait pas à un tel résultat à moins d'être un échec perpétuel. Naturellement, aucune proposition de nulle ne serait tolérée, comme au football, au basket ou dans à peu près n'importe quel autre sport.

Il est maintenant temps d'expliquer les dites contraintes de coups que je suggère. Prenons l'exemple d'un tournoi de 10 rondes. Chaque participant aurait droit à 800 coups pour terminer son tournoi, soit une moyenne de 80 coups par partie, ce qui représente le double de la durée moyenne d'une partie classique. Après chaque partie terminée, le nombre de coups de chacun est ajouté au nombre total de coups des parties précédentes. Lorsqu'un joueur atteint 800 coups, son tournoi s'achève. Ainsi, si un joueur a atteint un total de 800 coups dès la huitième ronde, il sera dans l'incapacité de prendre part aux deux dernières parties et ses adversaires les gagneront par forfait.

Pour expliquer la raison d'être de cette règle, jetons un coup d'œil à la partie de la 1ère ronde du récent Tatal Steel :

C'était une partie assurément de très grande qualité, surtout pour un tournoi rapide, malheureusement elle était également fort ennuyeuse. Voyons maintenant ce qui se serait passé si la règle de limitation du nombre de coups avait été appliquée. Après l'échange des cavaliers, nous obtenons une position dite de "nulle morte".

Il ne s'agit pas juste d'une position figée, mais d'une position ridiculement figée ! On se croirait au milieu du désert d'Atacama !

Atacama Desert, Chile.
Désert d'Atacama au Chili

Mais comment les joueurs peuvent-ils ici aboutir au partage du point ? Si proposer nulle n'est pas autorisé, que la règle de la triple répétition et celle des 50 coups n'existent pas, comment peut-on alors parvenir à la nulle ? On ne peut pas !

Donc, l'un des deux joueurs devra abandonner sans quoi ils continueront indéfiniment jusqu'à atteindre la limite couperet des 800 coups. Cette position peut ruiner non seulement une partie, mais aussi le tournoi entier !

Par conséquent, en tant que forts joueurs, ils anticiperaient un tel scénario bien à l'avance et s'écarteraient de ce chemin avant qu'il ne s'impose à eux. Par exemple, les blancs pourraient facilement éviter l'échange des tours sans que leur position ne soit endommagée :

Les noirs pouvaient de la même façon garder les dames sur l'échiquier :

Le point principal réside dans le fait que lorsque les deux joueurs auront conscience que les échanges mèneront à la position désastreuse du désert d'Atacama, ils n'auront d'autre choix que de les éviter, ce qui pourrait rendre la tournure des parties plus excitantes. De plus, même si une telle fin de partie venait à se dessiner, les joueurs apprendront alors comment jouer pour la victoire à tout prix.

Notre champion du monde actuel, Magnus Carlsen, leur a déjà montré la voie :

Pour des joueurs comme Carlsen, qui méprisent les nulles rapides et poussent jusqu'à leur dernière chance, cette limite de coups ne devrait pas être un problème - mais pour ceux qui cherchent des échanges comme excuse pour une nulle rapide, cela en deviendrait un !

Certaines personnes pourraient s'opposer à cette règle de limite de coups sous prétexte qu'elle peut potentiellement ruiner le chemin logique du jeu. C'est tout à fait vrai. Mais l'introduction du contrôle du temps n'a-t-elle pas ruiné des milliers de parties parfaitement jouées ? Nous nous sommes habitués et c'est pourquoi nous acceptons aujourd'hui la limite de temps comme une part naturelle du jeu.

Jetons un coup d'oeil à la position suivante. Pouvez-vous trouver un mat forcé en trois coups ?

Reshevsky, l'un des meilleurs joueurs du monde, a-t-il préféré mater en trois ou quatre coups ? Eh bien, regardez ce qui s'est passé dans la réalité :

Oui, Reshevsky souffrait d'une telle crise de temps qu'il a donné sa dame en un coup ! Je peux vous assurer que sans pendule, la partie se serait terminée autrement !

Si nous acceptons que la limite de temps puisse modifier de manière significative la logique du jeu, pourquoi ne ferions-nous pas preuve de la même clémence envers une limite de coups ?

Eh bien, j'ai une bonne nouvelle pour vous : c'est déjà le cas ! Vous ne me croyez pas ? Regardez les parties suivantes jouées par de très forts Grands Maîtres.

Que s'est-il passé ici ? Pourquoi Yevseev a-t-il accepté la nulle 2 coups avant un mat forcé ?

Pourquoi le partage du point ? Est-ce que l'étoile montante des échecs russes, le MI Volodar Murzin a oublié un instant comment les tours se déplaçaient et a donc raté qu'il pouvait capturer la tour adverse en un coup ?

Nguyen respecte-t-il tellement Vachier-Lagrave qu'il a offert la nulle plutôt que de le mater en 2 coups ?

La réponse est la même pour ces 3 parties. Le camp dominant n'a pu concrétiser sa victoire à cause de la règle des 50 coups.

Si nous acceptons déjà certaines limites de coups, pourquoi ne pas simplement les modifier ? Un tel changement rendrait les échecs de plus haut niveau, plus divertissants, mais contrairement à toute autre proposition (comme celle de Kramnik, par exemple), les règles du jeu resteraient exactement les mêmes !

N'hésitez pas à partager vos idées en commentaires.

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