Magnus Carlsen avait-il tort sur les forteresses ?
Après la quatrième partie de son match de Championnat du Monde 2016 contre Sergey Karjakin, Magnus Carlsen a fait une déclaration qui est restée dans les annales : "Je ne crois pas aux forteresses !". Ce qu'il voulait probablement dire, c'est que même si les forteresses existent aux échecs, la majorité des positions qui ressemblent à une forteresse peuvent être pénétrées.
Malheureusement, après que ces mots du champion du monde aient été imprimés et réimprimés des milliers de fois (Hikaru Nakamura en a même fait la citation du jour sur son compte Twitter), l'affirmation de Carlsen a perdu son sens initial. De nos jours, on croit généralement que le numéro 1 mondial pense que les forteresses sont comme les licornes : elles n'existent tout simplement pas.
Les gens aiment souligner qu'après la forteresse de la quatrième partie, vue ci-dessus, Karjakin a réussi à construire une autre position infranchissable dans le même match !
La vraie question est donc : quelle est la fréquence des forteresses aux échecs ? Je doute que quiconque dispose de statistiques exactes, mais ma réponse serait que les forteresses sont plus courantes que vous ne le pensez !
Avant de poursuivre notre discussion sur les forteresses, laissez-moi vous raconter une histoire amusante qui s'est produite il y a environ 60 ans lors d'un tournoi soviétique. Le GM Eduard Gufeld venait juste de commencer sa partie quand il a remarqué que la même ouverture était jouée par deux autres Maîtres dans un autre coin de la salle de jeu. Ceci n'a rien d'inhabituel puisque dans de nombreux tournois de haut niveau, vous pouvez voir deux Siciliennes Najdorf ou deux Berlin jouées simultanément.
Cependant, plus la partie de Gufeld progressait, plus il était préoccupé par la situation sur l'autre échiquier. Le tournant s'est produit lorsqu'une très forte nouveauté y est apparue. Gufeld a rapidement compris que ce serait un désastre si son adversaire la découvrait et la copiait dans sa propre partie. Gufeld s'est donc dirigé vers le tableau de démonstration qui montrait la partie avec la nouveauté et a bloqué la vue de celle-ci avec son corps.
Je dois mentionner ici que Gufeld a toujours été un grand gaillard. La personne qui s'occupait de la retransmission lui a demandé de bouger à de nombreuses reprises et leurs échanges sont devenus assez animés. Heureusement, l'adversaire de Gufeld était plongé dans une telle réflexion qu'il ne s'est pas rendu compte de ce qui se passait autour de lui, et a finalement opté pour un autre coup. Comme il ne s'agissait pas de la nouveauté dont Gufeld avait si peur, la partie s'est poursuivie sans autre incident.
Une situation très similaire s'est produite dans un tournoi plus récent où deux parties jouées sur des échiquiers adjacents ont eu 19 coups identiques, ce dont nous avons parlé dans cet article.
Vous, mes chers lecteurs, vous demandez probablement ce que ces histoires d'ouvertures similaires jouées au même moment ont à voir avec notre discussion sur les forteresses. Eh bien, voyons ce qui s'est passé il y a quelques jours dans le championnat américain.
La nouvelle venue, la GM Gulrukhbegim Tokhirjonova, disposait d'un pion de plus qu'elle essayait de convertir en victoire jusqu'à ce qu'elle se heurte à une surprenante forteresse construite par sa maligne adversaire, la GM Sabina-Francesca Foisor :
Je qualifie cette forteresse de surprenante car tous les pions noirs sont sur des cases de la même couleur que leur fou, soit habituellement un gros point négatif dans ce type de finales ; de plus, les blancs jouissent d'un pion d'avance. Et pourtant il s'agit d'une forteresse imprenable !
Dans la même ronde, Fabiano Caruana a patiemment essayé de concrétiser son avantage positionnel en gain et a finalement réussi. En toute fin de la partie, il a également proposé un trait d'humour sur l'échiquier :
De nos jours, nous n'avons plus les bons vieux tableaux de démonstration. Au lieu de cela, il existe des écrans d'ordinateur partout. Cela pouvait jouer en faveur de Caruana, car il est beaucoup plus facile de bloquer la vue d'un écran que celle d'un grand tableau de démonstration ! Si Ray Robson avait jeté un œil à la fin de partie mentionnée ci-dessus et qui se jouait à quelques mètres de lui, il aurait trouvé un moyen très simple de sauver la nulle.
Étant donné que deux forteresses se sont produites dans un même match de Championnat du Monde et que deux autres très similaires sont apparues dans la même ronde du Championnat Américain, on peut en conclure qu'elles sont beaucoup plus courantes que vous ne le pensiez. Vous feriez donc mieux d'y croire !
Que pensez-vous des forteresses aux échecs ? En avez-vous déjà construit une dans vos parties ? Dites-le nous dans les commentaires ci-dessous !