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Le secret des fous de couleurs opposées
Connaissez-vous les subtilités des fous de couleurs opposées ?

Le secret des fous de couleurs opposées

Gserper
| 43 | Stratégie

Le 10ème champion du monde Boris Spassky s'est marié trois fois, mais malheureusement ces trois histoires d'amour se sont terminées par un divorce. La comparaison caustique employée par Spassky lui-même pour décrire son premier mariage mérite qu'on s'y attarde : "Nous étions comme des fous de couleurs opposées."

J'ai tout d'abord cru qu'il faisait référence à la caractéristique la plus évidente des fous de couleurs opposées : ils ne se rencontrent jamais sur l'échiquier.

J'en ai donc déduit que Spassky et sa première épouse n'avaient pas les mêmes centres d'intérêts et qu'ils vivaient dans des mondes différents. Cependant, la plupart des champions du monde et des joueurs de l'élite suivaient le dicton bien connu : "un joueur d'échecs dans une famille, c'est déjà trop", aussi leurs conjoints ne jouaient pas aux échecs.

Pourtant, beaucoup d'entre eux ont vécu un mariage heureux toute leur vie. J'ai d'ailleurs déjà abordé ce thème dans un ancien article.

Boris Spassky
Spassky en 1956. Photo : Herbert Behrens / Wikipedia.

Un jour, j'ai lu une interview très provocatrice de Boris Spassky, et voila ce qu'il déclarait à propos de ses mariages :

J'essaie de divorcer de ma femme française et d'en sortir indemne. Je perds tous mes biens !

J'ai déjà concédé quelques pertes matérielles mais au moins je n'ai perdu personne de mon staff. 

J'avais une Mustang mais ma première femme Larisa me l'a prise après le divorce et l'a vite vendue à des géorgiens. C'était une femme pragmatique. 

J'espère que vous voyez une corrélation ici. Moi, j'en vois une ! J'ai donc finalement compris pourquoi Spassky comparait son mariage à une position avec des fous de couleurs opposées. La citation suivante peu connue de Cecil Purdy l'explique très bien :

Dans les finales avec des fous de couleurs opposées, le matériel ne veut rien dire, la position fait tout !

Ma seule correction à cette citation serait de remplacer le mot "finales" par "position", car cette règle peut être appliquée à la plupart des positions avec des fous de couleur opposée, et pas seulement aux finales.

En effet, il est bien connu que parfois un pion supplémentaire (ou deux) n'est pas suffisant pour gagner une finale avec des fous de couleurs opposées. Regardez ce diagramme, par exemple :

Les blancs ont deux pions de plus et l'un d'eux est un pion passé protégé, ce qui est généralement un énorme avantage dans la plupart des fins de partie - et pourtant ils n'ont aucune chance de gagner. Les noirs n'ont qu'à attendre avec leur fou dans la diagonale a7-g1 tandis que celui des blancs est ici complètement inutile.

Maintenant, regardons une partie qui m'a fait une très forte impression lorsque j'ai commencé à jouer aux échecs. En étudiant mon ouverture fétiche d'alors, la Sicilienne Dragon, je suis tombé sur la partie suivante :

L'abandon inattendu dans la position finale peut sembler très déroutant pour un débutant. En effet, pourquoi les blancs se sont-ils résignés à la défaite avec un pion de plus alors que leur adversaire n'a même pas de menace immédiate ? Plus j'analysais la position, plus il devint clair que le roi blanc était sans défense face à l'attaque qui se préparait à son encontre. Le fou de cases blanches se révélait, en effet, totalement inefficace pour protéger son monarque contre son homologue rayonnant sur les cases noires. Le matériel ne veut rien dire, la position fait tout !

Après avoir découvert le secret des fous de couleurs opposées, il m'a été plus facile de comprendre le commentaire suivant du "Patriarche" :

Les blancs pourraient gagner un pion par 35.Fxb7, au lieu de quoi ils ont préféré rapatrier leur fou pourtant centralisé jusqu'en d3. Pourquoi ?

Voici l'explication de Botvinnik : "C'est le plus simple. Tout ce que les blancs doivent faire est Fc4 puis Fd3, f4, Th1 et e5."

Vous voyez, Botvinnik est tellement désintéressé par le pion b7 qu'il ne mentionne même pas cette possibilité dans ses commentaires !

En effet, pourquoi perdrait-il son temps à prendre un pion s'il peut gagner grâce à une attaque directe contre le roi adverse ? Il est primordial de s'en souvenir. Une attaque s'avère souvent décisive quand des fous de couleurs opposées règnent sur l'échiquier. L'explication est assez simple : lorsque vous attaquez sur les cases d'une couleur, le fou de votre adversaire se retrouve inutile en défense, c'est donc presque comme si vous aviez une pièce supplémentaire pour mener l'assaut !

La partie suivante a été disputée dans un tournoi qui m'est cher puisque c'est là que j'ai obtenu mon titre de GM. J'avais toutes les peines du monde à essayer de comprendre ce qui se passait à la table à côté de la mienne. Le très fort GM, Gata Kamsky, est volontairement rentré dans une variante où une issue défavorable à la partie ne semblait faire aucun doute. En fait, c'est exactement le genre de position qui me choquait initialement quand j'étais enfant (à l'image de la partie Ostermeyer-Sosonko ci-dessus).

Le pion de plus des blancs n'a aucun poids, leur fou de cases blanches de cases blanches est un peintre sans toile pour s'exprimer, aussi l'attaque des noirs mettra un terme à l'affrontement plus tôt que tard.

L'année dernière, j'ai vu un autre exemple de ce schéma mortel avec le même triste résultat pour les blancs :

Vous connaissez maintenant le secret des fous de couleurs opposées : le matériel n'est rien, la position fait tout !

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Les échecs sont un art !

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