Interview exclusive avec le prodige indien Gukesh
Dommaraju Gukesh, âgé de seulement 16 ans, s'est révélé ces derniers mois comme la nouvelle étoile montante des échecs. Le sympathique prodige indien n'a cessé d'impressionner avec en point d'orgue une médaille d'or au 1er échiquier lors des Olympiades. Sa performance individuelle a largement contribué à la médaille de bronze de l'équipe 2 d'Inde devant ses supporters, à Chennai. Gukesh a notamment réalisé une série extraordinaire de 8 victoires consécutives avec au passage un gain avec les noirs face à Fabiano Caruana qui lui a permis d'engranger 27 points Elo. Il se retrouve déjà à frapper à la porte du gratin mondial avec 2726, synonyme de 23ème place au 1er septembre 2022.
Gukesh s'est entretenu avec le Maitre FIDE et Streameur français Stéphane Bressac avec qui il a joué pour le club de Cannes échecs. Retrouvez ci-dessous la retranscription de leurs échanges.
Stéphane : Commençons par évoquer ton parcours aux Olympiades. Comment l'as-tu vécu de l'intérieur ?
Gukesh : Cette année a été un énorme succès et je ne m'attendais certainement pas à jouer aussi bien, mais avant l'événement, j'ai engrangé pas mal de confiance grâce à mes derniers résultats et aux points Elo que j'ai gagnés.
Jouer à domicile pour ton pays avec beaucoup d'attentes de la part des fans indiens pouvait être facteur de grosse pression. Cependant, tu t'en es incroyablement bien sorti. Comment expliques-tu ta performance ?
C'est surtout que dernièrement, j'ai franchi des étapes qui m'ont permis de gérer la pression d'un tel évènement. Ce sont nos nerfs qui sont mis à rude épreuve mais j'ai beaucoup appris ces derniers temps et je pense que ça m'a aidé à gérer la pression.
Peux-tu nous en dire plus sur ta relation avec tes coéquipiers ? Est-ce que vous vous entraînez parfois ensemble ?
Nous ne jouons pas forcément ensemble mais nous faisons partie d'un groupe d'entrainement lancé par Vishy Anand. Nous faisons donc des sessions régulières avec certaines personnes comme Vishy ou Boris Gelfand.
Et qu'est-ce que cette médaille d'or au premier échiquier, gagnée à la maison, signifie pour toi ?
C'est très spécial, cette médaille d'or aux Olympiades, c'est vraiment quelque chose. Mais jouer dans ma ville natale, jouer pour l'Inde, faire ses débuts, c'est très spécial, c'est extrêmement satisfaisant.
Franchir ce cap des 2700 t'a-t-il libéré ou ce n'est pas si important pour toi ?
C'est une étape très importante dans un parcours échiquéen mais pour moi c'est juste un autre pas en avant. Je suis très heureux que les choses évoluent rapidement.
En parlant d'objectifs, quels sont les tiens ? Peut-être le titre de champion du monde ?
Oui, mais aussi simplement jouer et donner le meilleur de moi-même.
Tes 8 victoires d'affilée aux Olympiades ont impressionné tous les observateurs. Te sentais-tu invincible à ce moment-là ?
Oui, bien sûr, je me sentais très performant, mais aux Olympiades, nous sommes une équipe. J'étais très fier de moi et je pensais à la partie suivante. J'ai évidemment eu de la chance dans certaines parties et j'étais en très bonne forme. Même les trois dernières parties, j'ai bien joué et celle contre Abdusattorov était aussi très bonne, mis à part ma gaffe. Le principal était de maintenir le rythme, c'est le plus important et c'est venu naturellement.
Le principal était de maintenir le rythme, c'est le plus important et c'est venu naturellement.
En parlant de cette partie contre Abdusattorov. Comment as-tu fait pour te remettre d'une telle défaite ?
C'était dur, j'étais vraiment énervé les premiers jours, je m'en voulais, c'était du gâchis, j'avais ce genre de sentiments, mais récemment, j'ai commencé à accepter. Dans ce cas particulier, bien sûr, ça m'a brisé le cœur. Vishy Anand m'a dit qu'il avait vécu la même chose. Nous avons eu une longue discussion, après quoi j'étais un peu plus détendu, ça m'a permis de me reconcentrer. Hier, j'ai commencé à accepter cette défaite.
Quelle est ta meilleure partie dans ces Olympiades, celle dont tu es le plus fier ?
(Rires) Je ne dirais pas celle-là, mais c'est en fait une très bonne partie. J'aime bien celles contre Shirov et Sargissian. Oui, ce sont deux très bonnes parties.
À présent, quelques questions plus personnelles... Qui t'a appris à jouer aux échecs et quand est-il devenu évident que les échecs prendraient une telle part dans ta vie ?
La première fois que j'ai vu un échiquier et les pièces, c'était quand j'avais 6 ans. Je veux dire que mes parents jouaient à la maison, comme à n'importe quel autre jeu de plateau. J'avais l'habitude de m'asseoir et de les regarder. Puis, je me souviens qu'à l'école il y avait un camp d'été, avec beaucoup d'activités, j'ai choisi les échecs et j'ai commencé à aimer ça. Ensuite, certains entraineurs là-bas ont dit que je comprenais très vite, alors j'ai pris les choses plus sérieusement.
Que représente Vishy Anand pour toi ?
C'est une inspiration pour moi, pour presque tous les Indiens et même pour tous les fans d'échecs en général. Lorsque j'ai commencé à jouer, j'attendais avec impatience de le rencontrer un jour. Quand, en 2020, j'ai reçu une invitation de son académie, c'était juste une opportunité en or. Passer beaucoup de temps avec lui, c'est quelque chose dont peuvent rêver de nombreux joueurs d'échecs. C'était vraiment très spécial, très inspirant, c'était un grand plaisir de le rencontrer.
D'autres joueurs t'ont-ils inspiré ou t'inspirent-ils encore ?
Quand j'ai commencé les échecs, Capablanca était un joueur dont j'admirais beaucoup le style. Presque tous les champions sont de grands joueurs et j'ai beaucoup appris d'eux. Bien sûr, Kasparov est une source d'inspiration.
Peux-tu nous donner quelques détails sur ta routine d'entraînement ? Pratiques-tu une activité physique ?
Oui, j'ai récemment commencé à pratiquer une activité physique de manière régulière. Je fais également du coaching mental. Bien sûr, la part d'échecs à ce niveau est principalement constituée de travail sur les ouvertures. Le reste aussi, mais c'est sur les ouvertures que nous passons le plus de temps aujourd'hui.
C'est sur les ouvertures que nous passons le plus de temps aujourd'hui.
Tu fais partie de la génération des ordinateurs. Travailles-tu aussi avec des livres ?
C'est sûr que je passe beaucoup plus de temps avec les ordinateurs qu'avec les livres. De temps en temps, cela ne me dérange pas de lire mais on ne peut pas dire que je suis un grand lecteur. (rires)
As-tu d'autre passions que les échecs ?
Oui, toutes sortes de choses : pratiquer des activités physiques, se détendre, se sentir mieux. Le sport, je n'en fais pas beaucoup mais quand j'en ai l'occasion, je fonce.
Quelle est ta relation avec la France et Cannes pour qui tu as joué en Top12 et dont tu as remporté le tournoi (Festival International des Jeux) en février 2020 ?
Ma relation avec le club a toujours été spéciale, avec Romu (Ndlr : Romuald De Labaca, entraineur de Cannes Echecs) et l'ambiance très festive. Tu faisais également partie de l'équipe. Vous êtes tous des gens formidables, l'équipe française, c'était tellement amusant.
Tout à l'heure tu as mentionné le sport, as-tu progressé au ping-pong ? Je me souviens qu'on y jouait tous les soirs.
Oui, j'aime vraiment beaucoup le ping-pong, je peux jouer nuit et jour, même avant les parties.
En top 12 (1ère division française par équipes), j'ai été très impressionné par une de tes parties contre Matthieu Cornette, théoricien très réputé en France. Tu n'avais que 13 ans et ta compréhension du jeu à l'époque était déjà surprenante. Je suis sûr que tu te souviens de cette partie. Peux-tu nous en parler ?
Bien sûr, c'était une très bonne partie contre Matthieu Cornette. Le fait est que nous avions tous les deux regardé les mêmes lignes dans notre préparation mais que nos opinions différaient sur une certaine position. Je pensais que c'était très passif pour les noirs et lui estimait que ce n'était pas un problème. D'un point de vue pratique, j'étais juste peut-être un peu mieux mais c'était dur pour lui de trouver un plan clair. Au final, ça s'est très bien passé.
Quels sont tes projets pour les mois à venir. As-tu des tournois de prévus ?
Oui, je vais jouer le championnat d'Espagne par équipe.
Pour finir, peux-tu donner un conseil pour les jeunes qui veulent progresser ?
Je pense que d'abord et avant tout, il faut juste aimer les échecs. Je n'ai jamais vu les échecs comme quelque chose que je devais faire mais toujours comme quelque que je voulais faire... Simplement apprécier le jeu, continuer à travailler et la progression suivra.
Un immense merci, Gukesh, pour ta gentillesse et ta disponibilité et bonne chance pour tes prochains tournois que nous suivrons de près !
Merci également à Stéphane qui, en plus de l'entretien, a pris le temps d'analyser les deux parties de l'article. Retrouvez-le sur ses chaînes Twitch et Youtube !
N.B : Pour des raisons de clarté et de compréhension, certains passages ont été affinés.