Frank Marshall, troisième partie : Capablanca entre en scène
Que faire lorsque l'on vient d'échouer dans sa quête du championnat du monde et que l'on réalise qu'on ne parviendra jamais à obtenir le titre suprême ?
On continue à jouer aux échecs, pardi !
Bien sûr, les plus grands joueurs rêvent tous du titre mondial, mais personne ne joue aux échecs pour ça. Quelque soit son niveau, on joue avant tout parce que, tout simplement, on aime le jeu.
Frank Marshall a eu des hauts et de bas, mais toujours, il a gardé les yeux rivés sur l'avenir : le prochain tournoi, une nouvelle idée d'ouverture, les compartiments de son jeu à améliorer... Il ne vivait que pour la prochaine attaque de mat !
Marshall via Wikipedia.
1907
Ostende
Un tournoi intéressant et très fort. Les six participants se rencontrent quatre fois chacun. Tarrasch se taille la part du lion (Marshall ayant fait trois nulles et une défaite contre lui). Schlechter termine second. Marshall et Janowski se partagent la troisième place, devant Burn et Tchigorine.
A l'époque de Marshall, lorsqu'on entendait le mot "arnaque", on pensait immédiatement à lui. Il avait pour habitude de se retrouver dans des positions allant de "mauvaises" à "complètement perdantes", et parvenait pourtant à les retourner. Comme par magie, il envoyait avec vigueur toutes ses pièces en direction du roi adverse et son rival, hypnotisé par l'avalanche tactique, finissait par craquer et laisser filer la victoire.
Exemple typique :
EXERCICE 2
Karlsbad
Parmi un très fort groupe de 21 (!) joueurs, Marshall souffre un peu, mais parvient tout de même à terminer devant plusieurs légendes du jeu. Akiba Rubinstein finit premier devant Geza Maroczy et Paul Saladin Leonhardt. On retrouve ensuite Aaron Nimzowitsch et Carl Schlechter ex-aequo, puis Milan Vidmar en sixième place. Marshall termina onzième devant Spielmann, Tartakower, Tchigorine, Janowski et d'autres.
Vienne
Vingt joueurs, 19 parties, et Maroczy, Schlechter et Duras premier ex-aequo avec 14 points. Rubinstein termine 4ème tandis que Marshall, Leonhardt et Mieses finissent 9ème ex-aequo. Dernier avec seulement 1,5/19 : Richard Réti !
Marshall, véritable stakhanoviste avant même l'existence du mot, n'arrêtait pas de jouer !
EXERCICE 4
16ème Congrès allemand d'échecs
Encore une fois, Marshall remporte le tournoi sans la moindre défaite. Avec 11,5/15, il termine avec un point et demi d'avance sur le second (Salwe). Spielmann s'empare de la troisième place.
Joli, pas vrai ? Il est formidable de voir à quel point une technique bien huilée permet d'engranger les victoires avec une apparente facilité. Marshall était un amoureux du jeu tactique, mais en vieillissant et en emmagasinant de l'expérience, il appréciait de plus en plus les échecs positionnels.
EXERCICE 6
Tournoi à trois de Lódz
Akiba Rubinstein, Marshall, et George Salwe. Huit parties contre chaque joueur. Au bout du compte, Rubinstein s'impose avec 9,5/16 devant Marshall avec 8 et Salwe avec 6,5.
EXERCICE 7
Match à Varsovie
Frank Marshall - Akiba Rubinstein
Ce match en onze parties contre le prodige polonais fut très disputé. Rubinstein l'emporte avec 3 victoires, 2 défaites et 3 nulles. Contre celui qui est alors le deuxième meilleur joueur du monde, le résultat de Marshall est plus qu'honorable.
La sixième partie a bien commencé pour l'américain, mais impossible de percer les défenses adverses. Finalement, le polonais parvient à égaliser, mais Marshall continue l'assaut à la recherche de son avantage perdu. Finalement, il sacrifie une pièce, et nous arrivons dans cette position :
Match à Berlin
Frank Marshall - Jacques Mieses
Un match en 10 parties qui se joua dans la dernière. Marshall l'emporte avec 5 victoires et 4 défaites pour une nulle.
Match à Suresnes
Marshall - Janowski, le retour !
Nouveau match de dix parties entre David Janowski et Marshall. Le franco-polonais l'emporte confortablement avec 5 victoires, 3 nulles, et 2 défaites.
Pourtant, c'est bien Marshall qui s’octroie le pactole !!
En effet, après sa seconde défaite contre l'américain en 1905, Janowski, blessé dans son orgueil, avait immédiatement lancé un nouveau défi assez fou et plein de panache : "Je vous offre un avantage de quatre points. Mes quatre premières victoires dans ce prochain match ne compteront pas."
Le match de 1908 eut donc lieu selon ces conditions hallucinantes, et malgré sa victoire avec trois point d'avance, c'est bien Marshall, avec son avantage de base de quatre points, qui remporta la mise. J'ignore si Janowski s'est ensuite calmé, mais cette histoire est tout de même assez incroyable !
Championnat des Etats-Unis - New York
Match Frank Marshall - Jose Raul Capablanca
Ce match comptait pour le championnat des Etats-Unis. Capa, encore inconnu du grand public, n'avait jamais joué dans un fort tournoi européen, et personne ne donnait cher de sa peau. Pourtant, il pulvérisa Marshall ! Après le match, ce dernier argua que son adversaire étant cubain, il était impossible qu'il soit nommé champion des Etats-unis.
Walter Penn Shipley, un juriste doublé d'un fort joueur d'échecs, jugea qu'il était en effet impossible d'accorder le titre à Capablanca, mais que Marshall ne l'avait pas gagné pour autant. (vu que son adversaire n'était justement pas un citoyen américain, vous suivez ?). Le titre fut donc rendu à l'ancien champion, Jackson Showalter. Un match fut donc peu après organisé entre Showalter et Marshall, et notre héros s'imposa facilement sur le score de 7 à 2. Finalement, Marshall était officiellement champion des Etats-Unis. Il ne relâchera pas ce titre avant 1936.
Mais revenons au long match contre Capablanca (23 parties). Marshall dut vite se rendre compte qu'il affrontait un monstre. Le score final fut de 8 victoires pour le cubain, 1 victoire pour Marshall, et 14 nulles.
Cette première rencontre aurait pu faire des deux hommes des ennemis jurés, mais Marshall n'était pas d'un naturel rancunier. Lorsqu'en 1911 fut organisé le très fort tournoi de Saint-Sébastien, sur la côte basque, il insista pour que Capablanca, alors inconnu en Europe, soit invité également. Le cubain remporta l'événement, et devint le nouveau maître des échecs mondiaux. Marshall termina 4ème devant Tarrasch, Schlechter, Nimzowitsch, Spielmann, Maroczy, Janowski, et d'autres.
Voici la seule victoire de Marshall dans leur match :
Marshall livre ici une très belle partie, mélange de talent positionnel et de tactique. S'il avait joué comme cela pendant tout le match, l'issue aurait sans doute été plus incertaine.
17ème Congrès allemand d'échecs
1er Schlechter, 2ème Duras, 3ème Nimzowitsch, 4ème Spielmann. Teichmann et Marshall terminent 5ème ex-aequo.
17 joueurs participaient à ce fort tournoi, et des joueurs comme Tartakower ou encore Tarrasch furent repoussés loin du top 6. Ce tournoi vit cependant l'éclosion d'un petit nouveau : le jeune russe Alekhine, 7ème ex-aequo.
Marshall annula sa partie contra Alekhine. Dans les années qui suivirent, il ne parvint jamais à le battre. Score final de leur affrontement particulier : 7 victoires pour le russe et 8 nulles. Pourquoi l'américain avait-il autant de mal contre cet adversaire en particulier ? C'est simple : la plus grande qualité de Marshall était l'attaque et la tactique. Malheureusement pour lui, le meilleur dans le monde à ce petit jeu, c'était Alekhine !
Les deux hommes ont notamment joué une nulle assez intéressante (pour ne pas dire ABSOLUMENT GÉNIALE) en 1924. Le final est particulièrement flamboyant !
EXERCICE 10
1911
New York
Marshall termine premier et invaincu devant Capablanca. Ce dernier perd contre Roy Turnbull Black, un juge de profession. Le cubain, sans doute un peu présomptueux contre l'amateur, joua 1.e4 c5 2.b4, et se fit durement contrer. Revivons cette partie au travers d'un exercice :
EXERCICE 11
EXERCICE 12
Match à Hambourg
Frank Marshall - Paul Saladin Leonhardt
Marshall remporte ce match en 7 parties avec 2 victoires, 1 défaite, et 4 nulles.
Karlsbad
Vingt-six joueurs. Teichmann termine premier devient Rubinstein et Schlechter, ex-æquo. Rotlewi est quatrième, Marshall et Nimzowitsch se partagent la cinquième place. Le jeune Alekhine, 19 ans, termine 8ème.
La partie qui suit n'est pas présentée dans un but pédagogique, mais plutôt humoristique ! Je l'avais tellement aimé étant enfant que je ne l'ai jamais oublié depuis. Toutes les notes sont de Marshall.
“En m'asseyant pour jouer la dernière ronde contre le maître russe Douz-Khotimirski, j'étais un peu nerveux. Je savais qu'il avait été longuement briefé avant de m'affronter. Mon adversaire montrait d'ailleurs des signes de grande nervosité. Cette amusante petite partie est le résultat de notre rencontre."