Du sourire à l'abandon !
Les échecs sont un jeu extrêmement complexe exigeant une concentration totale. Par conséquent, la plupart du temps, l'expression faciale les joueurs d'échecs demeure très sérieuse.
Je doute qu'un fianchetto ou qu'une colonne semi-ouverte déclenchent un fou-rire généralisé. Il existe, par contre, un élément positionnel qui provoque inévitablement le sourire des joueurs d'échecs. Indépendamment de leur classement ou de leur âge, ils ne peuvent rester indifférent à une situation rare mais cocasse par certains aspects quand elle se produit sur l'échiquier. Je parle ici des pions triplés.
Je me souviens de la première fois où j'ai triplé les pions dans une des mes parties. J'étais un petit garçon qui se souciait plus du plaisir de jouer aux échecs que du résultat proprement dit. Alors quand mon adversaire a menacé de tripler mes pions, je ne l'ai pas empêché en me disant : "Voyons ce qui va se passer".
En effet, je n'avais jamais vu de telles positions auparavant et j'étais curieux d'essayer quelque chose de nouveau. Je ne me souviens pas des coups exacts, mais je crois que la partie ressemblait à peu de chose près à ça :
Quand les pions triplés sont apparus sur l'échiquier, j'ai commencé à sourire et mon adversaire aussi, au même titre que les autres enfants qui observaient notre partie. Malheureusement, la phase amusante a, pour moi, tourné court. J'ai souffert toute la partie et j'ai fini par perdre.
À l'analyse, mon adversaire m'a demandé pourquoi j'avais permis une telle concession positionnelle. J'ai admis que cela avait l'air suspect et que j'avais eu envie d'essayer juste par curiosité. Il m'a regardé bizarrement comme si j'étais fou et m'a rétorqué : "Au début, tu as souri et à la fin tu as abandonné !"
Je pense que cette phrase de mon enfance décrit très bien les pions triplés. Si vous avez lu ma série d'articles sur les pions doublés, vous savez que ceux-ci peuvent être un handicap ou un atout selon la situation.
Cependant, il est très difficile de trouver un côté positif aux pions triplés, en dehors du sourire qu'ils font apparaître sur le visage des joueurs et spectateurs. Ne vous méprenez pas, vous pouvez gagner une partie avec des pions triplés. À vrai dire, vous pouvez même gagner une partie avec des pions quadruplés !
Néanmoins de telles victoires n'ont généralement rien à voir avec les pions triplés ou quadruplés. Je dirais même que ces parties sont gagnées malgré ce handicap ! Si je suis incapable de nommer ne serait-ce qu'un côté positif des pions triplés, il y a - à l'inverse - tellement d'inconvénients que vous pouvez être certains qu'il faut à tout prix les éviter dans vos parties.
Je vois régulièrement apparaître la même position avec des pions triplés dans les tournois scolaires, elle est issue d'une variante très populaire de l'Écossaise :
La position des noirs est très mauvaise, le pion c5 étant déjà condamné. Les Blancs vont bloquer les pions noirs en jouant c2-c4 puis attaquer la faiblesse c5 avec leur cavalier.
La partie suivante est très populaire dans les livres de tactique en raison de l'attaque double inhabituelle que peuvent réaliser les blancs. Je suis sûr que vous trouverez facilement le coup gagnant :
Alors que la défaite rapide des noirs dans cette partie n'était pas directement due à leurs pions triplés, dans la suivante, c'est bien le pion c5 qui va tomber le premier :
Le plus gros problème des pions triplés n'est même pas qu'ils sont par essence très faibles. Ils créent une barrière, entravant le chemin de leurs propres pièces et par conséquent les communications entre les deux ailes sont perturbées.
Remarquez que dans la partie suivante, le légendaire Grand Maître Lev Polugaevsky n'a même pas pris la peine de s'emparer du pion c5 au 27ème coup. Il a, à juste titre, considéré que laisser aux noirs leur triplette les empêcherait de ramener leurs pièces à la défense de leur roi. En effet, la dame et le cavalier noirs sont restés coincés à l'aile dame tandis que le roi souffrait de l'attaque adverse.
Dans la partie ci-dessous, exécutée par Bobby Fischer, les pions triplés ont créé le tombeau de leur propre roi, l'empêchant de s'enfuir !
En conclusion, il ne fait pas de doute que les pions triplés doivent être évités la majorité du temps. Rappelez-vous, d'abord vous souriez, puis vous abandonnez !