Comment votre adversaire peut-il vous aider ?
Siegbert Tarrasch était l'un des meilleurs joueurs de son époque et mérite assurément d'être inclus dans la liste des joueurs d'échecs les plus forts à ne jamais être devenus champions du monde.
Comme Reuben Fine, Tarrasch était un auteur échiquéen prolifique, au point d'être surnommé "le Professeur d'Allemagne" en raison des nombreux manuels d'échecs qu'il écrivit. Je parie que beaucoup d'entre vous ont déjà entendu la fameuse règle de Tarrasch dans les finales de tour, stipulant qu'il faut toujours positionner la sienne derrière les pions passés, qu'ils soient les vôtres ou ceux de votre adversaire.
En outre, son immortel "cavalier au bord, cavalier mort" est un adage que l'on aime à répéter. Il est également l'auteur d'un dicton moins connu mais tout aussi utile que Bobby Fischer cite même dans son livre My Sixty Memorable Games (Mes 60 meilleures parties). Dans les annotations de son affrontement avec le GM Kholmov, le génie américain déclare :
Comme Tarrasch l'a écrit : "Quand vous ne savez pas quoi faire, attendez que votre adversaire trouve une idée, elle sera certainement erronée !"
Cette partie de mon récent article en est un bon exemple.
Magnus Carlsen a essayé - en vain - de faire des progrès dans cette finale pendant les 20 derniers coups, victime de la tour blanche qui n'a cessé de le harceler. Le numéro 1 mondial ne dispose d'aucun moyen de forcer l'échange de cette intruse ennuyeuse... à moins que son adversaire ne l'aide. Tournure choquante des événements puisque Teimour Radjabov liquide de son plein gré sa pièce la plus active !
Malgré cet échange, la position demeure très annulante et une nouvelle fois, Carlsen va tenter d'améliorer ses perspectives durant une quinzaine de coups mais toutes ses tentatives échouent... jusqu'à ce que les blancs se créent volontairement une faiblesse en a4 qui, neuf coups plus tard, est devenue indéfendable.
Ne vous méprenez pas, je ne fais pas le procès de Radjabov, qui est un Grand Maître de classe mondiale. A vrai dire, je ne pense pas qu'un joueur puisse résister à la pression imposée par Carlsen dans une telle situation.
Jugez par vous-même :
Il n'était pas si évident pour les noirs de progresser dans la position après 37...Te6, mais Vishy Anand décida de renoncer à son pion central e4.
C'est un phénomène étrange, mais il arrive qu'à un moment donné, vos adversaires finissent par vous faciliter le travail ! Voici un autre exemple :
Le coup 31...h5 ? est inexplicable. Pourquoi les noirs se créeraient-ils une autre faiblesse ? Voici ce que le GM Jonathan Rowson écrit à ce sujet dans son excellent livre The Seven Deadly Chess Sins (Les sept péchés capitaux aux échecs) :
Il est compliqué d'imaginer ce que les blancs peuvent faire si les noirs ne touchent à rien. Cependant, pour ceux qui n'ont jamais essayé, "rester les bras croisés" peut être atrocement difficile parce que c'est notre tendance naturelle de vouloir "faire quelque chose".
Rowson met le doigt sur un argument clé ! Tout joueur d'échecs expérimenté sait combien il est ardu de ne rien faire !
Voici ma propre expérience. Après une partie longue et compliquée contre le GM Yurtaev, j'obtiens une forteresse imprenable :
Le pion f7 couvre mon roi contre tout danger et tout ce que j'ai à faire, c'est de "ne toucher à rien" ! Même si mon adversaire active sérieusement ses pièces, j'ai pour seule mission de protéger mon pion f7.
Voici une situation typique :
Qu'est-ce qu'il s'est réellement passé dans la partie ? J'ai "activé" mon roi, poussé mon pion comme si je jouais pour le gain, avec pour conséquence une défaite misérable ! Il m'est encore difficile d'expliquer pourquoi j'ai pris de telles décisions, sachant qu'en ces temps préhistoriques, nous n'avions pas la pression de tomber, j'obtenais un rajout d'une heure entière pour chaque 16 coups après avoir atteint le quarantième !
Bien sûr, même après l'avancée de mon pion, la position était toujours objectivement nulle mais elle perdait son caractère de forteresse.
Je suppose qu'il est opportun de citer en conclusion le célèbre ouvrage The Art of War (L'art de la guerre) de Sun Tzu.
Si vous attendez assez longtemps au bord de la rivière, vous finirez par y voir flotter les corps de vos ennemis.