Comment réagir face à une ouverture inhabituelle ?
Je suis certain qu'il vous ait déjà arrivé d'affronter un adversaire qui est sorti des sentiers battus dès l'ouverture, en jouant un coup allant à l'encontre des notions les plus rudimentaires de notre jeu.
Quelle est votre réaction quand cela arrive ? (passée l'indignation inaugurale : "il se fout de moi là ?").
Parvenez-vous à conserver votre calme et donner le meilleur de vous-même ?
Un coup farfelu peut être joué dans l'ouverture pour de nombreuses raisons, discutées dans cet article. La méfiance est cependant de rigueur, un coup qui a tout l'air d'être celui d'un débutant ne signifie pas automatiquement que votre adversaire en est un. L'ouverture suivante en est un illustre exemple :
Comme si 3...De7 ne faisait pas suffisamment fi des principes de base aux échecs, les noirs vont renchérir au coup suivant par 4...Cd8 !
Le magazine d'échecs soviétique Chess In The USSR, en vogue pendant mon enfance, a publié un article sur ce système. Le but de ses auteurs, les deux Maîtres de Leningrad, Vinogradov et Kopylov était de convaincre les lecteurs que cette ouverture n'était, en fin de compte, pas si mauvaise. Leur réputation d'innovateurs théoriques reconnus (la variante Leningrad de la Hollandaise est leur bébé), m'avait alors donné envie d'y jeter un œil.
A ma grande surprise, cela paraissait très jouable sur le papier et les parties fournies par les auteurs tendaient à démontrer la viabilité de leur système.
Preuve à l'appui avec cette partie, tirée de l'article :
J'étais alors un enfant de 12 ans qui avait déjà certaines connaissances et exigences échiquéennes, j'aurais donc encore préféré croire au père Noël plutôt que d'adopter une telle ouverture. En d'autres mots plus actuels, je pensais que les auteurs trollaient leur lectorat.
N'ayant jamais eu affaire, en personne, à ce système de pacotille, j'ai assez vite oublié le propos de cet article et je ne m'en serais jamais souvenu si la partie suivante, jouée dans ma ville, par un de mes forts coéquipiers, n'avait eu lieu :
Je connaissais le GM Saidali Iuldachev depuis l'enfance et il avait toujours aimé jouer des ouvertures classiques telles que la Ruy Lopez et la défense orthodoxe du gambit dame refusé. De plus, comme je l'ai mentionné dans mon dernier article, la plupart des joueurs originaires d'Ouzbékistan ont une approche dite classique du jeu, j'ai donc été doublement choqué de voir un tel blasphème se produire sur l'échiquier.
En outre, en fouillant quelque peu les bases de données, j'ai constaté que quelques Grands Maîtres expérimentés avaient joué cette "ouverture cacahuète" et s'en tiraient bien dans la plupart des cas :
C'est de la folie pure. On dirait qu'ils cherchent à transformer notre noble jeu en un cirque... Je suis parvenu à retrouver le vieil article dont il était question et je l'ai relu consciencieusement, quelque part vers la fin, les auteurs analysent la variante : 4.Cc3 Cd8 5. Cd5 et font le constat suivant : "il est possible que l'intrusion du cavalier en d5 réfute le plan des noirs".
En effet, dans la ligne où les blancs parviennent à jouer Cd5 avant que les noirs ne l'interdisent par c7-c6, la position noire se dégrade assez rapidement :
Il faut bien sûr reconnaître que le GM Bricard n'était pas très inspiré dans cette partie, puisqu'il n'a même pas joué l'indispensable c7-c6 ! Je peux cependant vous dévoiler l'idée que les blancs ne devraient peut-être pas gaspiller un tempo à roquer mais jouer Cd5 aussi vite que possible :
Il s'avère donc que les auteurs avaient totalement raison dans leurs conclusions : si les noirs parviennent à terminer leurs longues manœuvres de développement, qui inclut le coup clé c7-c6, ils devraient alors obtenir une position jouable, à contrario, si les blancs jouent très énergiquement - 4. Cc3 ! suivi par 5. Nd5 ! - la position noire risque de s'effondrer rapidement.
Vous pouvez vous demander pourquoi j'analyse une variante qui se produit aussi souvent qu'une défaite de Magnus Carlsen en 2019, le plus probable est, en effet que, comme moi, vous n'y soyez jamais confrontés. Pourtant, je pense que l'on peut en tirer une leçon primordiale : si votre adversaire joue un coup douteux dans l'ouverture, essayez de réagir aussi énergiquement que possible !
Dans la plupart des cas, des coups naturels de développement permettront à votre adversaire de dérouler son plan sans encombre et d'échapper à une éventuelle punition. Comme vous avez pu le voir, dans de telles situations, même roquer peut s'avérer être une perte de temps !