Comment jouer aux échecs comme un ordinateur ?

Je sais que beaucoup d'entre vous, mes chers lecteurs, ont gloussé en lisant le titre de cet article. Vous devez vous dire : "Allez-vous vraiment nous apprendre à jouer comme un ordinateur ? Pouvez-vous jouer comme un ordinateur ?" La réponse est assez évidente, non, je n'en suis pas capable. Même pas en rêve ! Sinon, au lieu d'écrire cet article, je serais en train de chercher un moyen de défier Magnus Carlsen pour la couronne mondiale. Pourtant, je suis absolument certain que la lecture de cet article vous aidera à améliorer votre jeu, ou au moins vous permettra d'apprécier davantage la profondeur et la beauté réelles des échecs. Alors, sans plus attendre, commençons !

Pouvez-vous trouver un gain forcé dans la position suivante du récent tournoi du Tata Steel ?

Ne vous découragez pas si vous n'avez pas trouvé la solution. La très forte GM russe, Polina Shuvalova, l'a raté aussi. En fait, elle a même perdu cette partie :

Essayez maintenant de trouver une continuation gagnante dans la partie classique suivante :

Je suis presque sûr que tous les joueurs classés au-dessus de 1600 n'ont pas eu beaucoup de difficultés avec ce problème. Maintenant, pensez-y : tout ce que vous deviez sacrifier dans le premier problème était une tour, et pourtant il était incroyablement difficile à résoudre. En revanche, le deuxième problème est apparu évident pour la plupart d'entre vous, même si les blancs ont dû sacrifier bien davantage (une dame et une tour).

L'explication est très simple : nous sommes tous entraînés à sacrifier quelque chose sur échec. Il existe des milliers de combinaisons qui suivent le schéma général du sacrifice sur échec, puis quelques autres échecs et enfin mat. En effet, c'est très intuitif, puisque lorsque nous donnons un échec, nous avons le sentiment de contrôler la partie et cela justifie déjà psychologiquement un sacrifice.

Cependant, le premier problème exigeait le sacrifice d'une tour alors que c'est notre adversaire qui effectue un échec ! Pour la plupart des joueurs humains, c'est déjà un signal pour chercher un coup différent ; dès que nous voyons que l'adversaire peut capturer la pièce sacrifiée ET faire échec, nous arrêtons généralement de calculer. C'est la principale raison pour laquelle de telles combinaisons sont très difficiles à trouver. Pourtant, lorsque nous parvenons à sortir des sentiers battus, les combinaisons qui en résultent sont généralement exquises. Qui oubliera le coup de roi impensable suivant du GM Denis Khismatullin ?

La plupart d'entre nous n'analyseraient pas sérieusement le coup 44.Rg1!! même si nous avions remarqué l'idée, en pensant "Non, ça ne peut pas marcher". Et c'est la principale différence entre les humains et les ordinateurs. Les ordinateurs, par définition, analysent tous les coups légaux et par conséquent, ils ne peuvent tout simplement pas manquer une telle opportunité. En revanche, nous avons tous nos préjugés qui nous empêchent parfois d'analyser sérieusement un coup, même s'il semble très prometteur.

Voici encore une grosse erreur survenue au Tata Steel. Pouvez-vous trouver la meilleure façon de poursuivre l'attaque des blancs dans la position suivante ?

Il est évidemment au-delà des capacités humaines de trouver la séquence complète de coups qui mène à la victoire, donc je ne peux pas blâmer Jorden van Foreest d'être passé à côté. Il a tout de même réussi à terminer la partie en beauté avec une belle combinaison :

Maintenant je veux que vous remarquiez quelque chose de très important. Même si dans les deux parties les joueurs ont manqué la suite la plus forte suggérée par l'ordinateur, ils ont en fait exécuté exactement la même idée plus tard dans la partie ! Shuvalova a raté le sacrifice de tour au 20ème cou, mais elle a joué 24.g4 offrant le même sacrifice sur échec quatre coups plus tard. Van Foreest n'a pas joué directement 15.Txf6 pour finalement exécuter le même sacrifice un coup plus tard. Cela prouve clairement que les joueurs n'ont pas seulement manqué l'occasion en or, ils l'ont simplement écartée en raison d'éléments psychologiques.

Shuvalova a finalement décidé de sacrifier la tour seulement lorsque sa position est devenue désespérée et qu'elle n'avait plus rien à perdre. Malheureusement, dans cette situation, son adversaire n'a pas eu à accepter le sacrifice (qui aurait à nouveau été fatal aux noirs). Au lieu de cela, il a calmement consolidé la position et converti son avantage matériel. Van Foreest a refusé le sacrifice la première fois parce qu'il semblait trop lourd de donner la tour nette. En effet, sa position semblait très prometteuse, pourquoi prendre un risque supplémentaire ? Mais au coup suivant, il a sacrifié juste la qualité (pas la tour nette !) et a confortablement gagné la partie.

J'espère que ces exemples prouvent que, dans de nombreux cas, nous voyons les meilleurs coups de l'ordinateur, mais les rejetons à cause de nos préjugés et autres considérations psychologiques. Pour jouer comme un ordinateur, vous devez laisser vos émotions et vos préjugés de côté et continuer à calculer jusqu'à ce que vous arriviez à une conclusion claire. Pour être honnête, même cette approche ne garantit pas que vous trouverez la ligne gagnante si elle implique de nombreux coups "ordinatoresques". Dans ce cas, vous devez utiliser le seul avantage que nous avons sur la machine : notre intuition. Après tout, c'est exactement comme cela que Mikhail Tal est devenu champion du monde !

Donc, si un sacrifice semble très tentant et qu'il faut vraiment le jouer, ne l'écartez pas simplement parce qu'il parait trop risqué, ou qu'il ne correspond pas au modèle typique. Calculez-le au mieux de vos capacités et si vous ne trouvez pas de réfutation, faites-le ! Même s'il s'agit d'une erreur, vous apprécierez au moins la partie de cette façon. N'est-ce pas la raison pour laquelle nous jouons tous aux échecs en premier lieu ?

Pouvez-vous mettre ces conseils en pratique ? Essayez de les appliquer dès aujourd'hui dans notre Ligue des joueurs !