À la découverte du Chessboxing avec Lara Armas, championne du monde !
Le Chessboxing, comme son nom l'indique, constitue le surprenant cocktail entre échecs et boxe.
Né dans les années 2000 après avoir été imaginé en bande dessinée par Enki Bilal en 1992, ce sport pas comme les autres a vu sa propre organisation, la WCBO (Word Chess Boxing Organisation) émerger afin de lui offrir la place qu'il mérite.
Les règles sont simples : deux athlètes s'affrontent sur un ring où se trouvent une table et un échiquier, les coups sont échangés en alternance avec et sans les gants !
Les rounds durent 3 minutes et leur nombre peut varier selon les formats (généralement 5 ou 7), mais on commence toujours par les échecs. Une pause d'1minute est accordée entre chaque round, le temps de mettre/enlever le protège-dents, les gants, s'hydrater et préparer le corps et le cerveau au changement de discipline.
Le match peut être gagné grâce aux échecs ou à la boxe des façons suivantes :
- un mat
- un abandon (sur l'échiquier ou sur le ring)
- un K.O
- après une décision de l'arbitre (par exemple, en cas de trois coups illégaux aux échecs ou si l'athlète apparait à plusieurs reprises incapable de se défendre sur le ring)
Si la partie d'échecs se termine par la nulle et que la différence ne s'est pas faite non plus avec les poings, alors le joueur ou la joueuse conduisant les pièces noires est déclaré(e) vainqueur. Un tel concours de circonstance est improbable mais s'est déjà produit !
J'ai eu la chance de m'entretenir avec Lara Armas, ma co-équipière au club de Lesparre-Médoc, tout juste auréolée de sa seconde couronne mondiale de chessboxing dans la catégorie des - de 55 kg.
Vous pouvez revivre son combat et sa partie d'échecs en vidéo ainsi que découvrir toutes les autres finales disputées le même jour !
Salut Lara et félicitations pour ta victoire ! Peux-tu avant tout nous raconter ton parcours aux échecs ?
Lara Armas : Merci. Avec deux parents joueurs d'échecs, je m'amuse avec les pièces depuis toute petite. J'ai d'ailleurs une licence depuis que je suis née, prise par Jean Paul Touzé, le président de Belfort échecs, club où travaillait mon père. J'ai disputé mes premiers tournois à 5 ans et tous les championnats de France jeunes depuis la catégorie petite poussine. Mon meilleur résultat est le titre de vice-championne benjamine en 2005 à Calvi en corse, ce qui m'avait permis d'aller au Championnat d'Europe et du Monde.
J'adorais les étés au camping de la Rochade (ndlr : où s'est tenu de nombreuses années un tournoi organisé par la famille Armas, attirant foule de joueurs avec des invités exceptionnels comme Boris Spassky, Alexei Shirov etc.), je m'impliquais énormément dans l'organisation, c'est là où je me suis découvert un amour pour l'évènementiel sportif. Je me suis aussi beaucoup investie à l'Open des vins (ndlr : où les vainqueurs gagnent leur poids en vin du Médoc - un tournoi toujours d'actualité chaque été et organisé par la famille Armas !).
Mon père était champion de Roumanie, ma mère championne d'Allemagne et ma petite sœur de France junior (...) Je me suis dit que j'allais devenir championne du monde d'un truc et bonne chance pour faire mieux !
Venons-en au Chessboxing. Qu'est ce qui t'a donné envie de t'y mettre ?
J'étais à Londres pour le travail, j'ai trouvé des infos sur Facebook sur des combats et je suis allée voir. J'en avais déjà entendu parler par Carl Strugnell (ndlr : un des joueurs d'échecs précurseur dans la discipline). J'étais obligée d'essayer, il y avait un club et puis j'aime bien la bagarre de manière générale. Je n'avais jamais fait de boxe, mais un peu de judo et de jujitsu.
C'est mon histoire familiale qui m'a motivée : mon père était champion national d'échecs de Roumanie, ma mère championne d'Allemagne et ma petite sœur championne de France junior. Moi je n'avais été "que" vice-championne de France et je disais en rigolant que j'étais le vilain petit canard de la famille. Je me suis donc dit que j'allais devenir championne du monde d'un truc et bonne chance pour faire mieux ! Et puis j'aime bien les sports un peu différents.
Avant ce titre fraichement gagné, il y en a eu un premier en 2019 déjà à Antalya en Turquie. Comment avais-tu eu cette opportunité ?
Je m'étais donc mise au Chessboxing à Londres et à la boxe anglaise un peu là-bas et en France. Fin 2019, durant le tournoi du Cap d'Agde, Thomas Cazeneuve - déjà champion du monde - que j'avais contacté me rappelle et me dit : "il y a une fédération française qui s'est créée, on part dans un mois à Antalya, viens avec nous !". Au début j'ai dit non, j'étais blessée, je n'avais pas fait de sport depuis des mois mais j'ai fini par changer d'avis.
Comment s'est passé l'entrainement ? j'imagine qu'il était davantage axé boxe qu'échecs ?
Evidemment, j'étais une débutante à la boxe et ma stratégie c'était de gagner aux échecs et de survivre au combat donc je n'ai fait que des entrainements de boxe quatre fois par semaine pendant un mois intense.
Tu ne savais pas jusqu'au dernier moment qui il allait y avoir dans ta catégorie de poids, c'était le 3ème Championnat du Monde et mon premier, mais ça restait encore un peu privé comme milieu. L'avantage aux échecs c'est que tu peux voir un peu comment joue ton adversaire alors qu'à la boxe, tu n'as aucune idée du niveau.
Ton adversaire était plutôt le profil inverse du tien ? Une boxeuse qui s'est mise aux échecs ?
Oui, si tu regardes les parties, il y a de bons joueurs d'échecs mais c'est majoritairement des débutants et c'est pour ça que nous, l'équipe de France composée majoritairement de joueurs d'échecs, on a gagné pas mal de médailles en 2019. Sur 11 combattant(e)s, on a ramené 10 médailles. Les échecs c'est quand même important au chessboxing !
Je savais qu'elle allait me sauter dessus, aussi bien en 2019 que cette année.
Quel est le parallèle entre tes deux combats de 2019 et 2022 ?
En voyant le nom de mon adversaire, j'ai vu sur les réseaux qu'elles étaient copines. J'ai aussi pu me rendre compte de leur niveau en demi-finale. L'autre doit jouer à 1200 (ndlr : Lara est classée 1884 avec un pic à plus de 2000) et doit essayer de me battre à la boxe. Je savais qu'elle allait me sauter dessus, aussi bien en 2019 que cette année, c'était leur seule chance. Mais en 2019, j'étais beaucoup plus prête physiquement. Cette année, on avait beau répéter le plan : rester à distance, si elle te rentre dedans, tu lui rentres dedans en retour ; j'avais préparé : j'encaisse les coups, je fais un décalage, je réponds, mais en pratique, j'ai fait n'importe quoi.
Cette année, on était 3 dans ma catégorie, quand même 33% de plus qu'en 2019. Il y a eu un tirage au sort pour savoir qui jouerait les demi-finales et qui serait directement en finale et j'ai été tirée au sort. La Russe et l'Indienne se sont affrontées en demi, c'était un combat de fou (ndlr : la finale a eu lieu 3 jours après la demi).
Les voir combattre t'a fait stresser ?
Bien sur, surtout que j'arrivais dans une condition physique moyenne avec le taf, des travaux à la maison, je n'avais pas pu prioriser le chessboxing. Je n'étais pas au top de ma forme et les voir combattre quand tu sais que tu n'es pas très prête, ça rajoute un niveau de stress "je vais me faire défoncer".
La survie, juste en mode carapace, ça ne marche pas !
Aux échecs, on peut essayer de fermer le jeu ou jouer pour la nulle avec les noirs par exemple, est-il possible à la boxe d'éviter au maximum les échanges ou c'est plus difficile ?
Quand tu sais que tu dois juste survivre à la boxe, tu ne vas pas engager le combat mais c'est dur de l'éviter. Fermer aux échecs, c'est possible, là, la nana elle arrive, elle te mitraille de coups et si tu ne réponds pas à la boxe, tu te fais "compter". Si tu te prends un enchainement et que tu ne te défends pas, l'arbitre arrête et considère que tu n'es pas capable de te défendre, donc que tu es en danger. Si tu te fais compter 2 fois dans le même round, tu es out. La survie, juste en mode carapace, ça ne marche pas ! Je n'ai pas osé me reregarder car j'ai honte de mon combat. Surtout la 1ère minute, j'ai fait peur à tout le monde
Comment gères-tu les coups encaissés, la douleur ?
Sur le coup c'est dur mais tu ne te rends pas compte avec l'adrénaline. Tu sais que tu prends des coups, tu le vois mais c'est plus que tu as envie d'en mettre, c'est pour ca que la stratégie "tu te défends, tu mets un coup de temps en temps", non, quelqu'un te mitraille, le réflexe c'est de mitrailler en retour. J'ai des griffures sur les bras, les gants qui laissent des traces, le nez qui a un peu pris mais ça va, les mecs dans l'équipe ont tous des cocards, j'étais hyper jalouse. J'ai aussi des courbatures dans le cou à force d'en prendre (des coups).
J'entendais tous les indiens crier "doucement, doucement, joue doucement !" car si elle joue trop vite, je peux la mater sans avoir à retourner à la boxe.
Et la partie d'échecs, ça a donné quoi ?
J'ai essayé de me remémorer la partie mais je n'y arrive pas, elle avait mieux appris son ouverture que dans sa première partie. C'est marrant, j'ai de très vagues souvenirs seulement, j'ai pris la dame au 1er round donc je savais que j'allais gagner aux échecs et j'entendais tous les indiens crier "doucement, doucement, joue doucement !" - je parle un peu hindi - car si elle joue trop vite, je peux la mater sans avoir à retourner à la boxe.
Est-ce que sa stratégie en retour était de laisser filer son temps au maximum aux échecs pour tenter de gagner à la boxe ?
Il y a des règles : tu ne peux pas ne pas jouer pendant plus de 20 secondes. La finale est en 7 rounds : 4 d'échecs, 3 de boxe. Je sais que si j'utilise moins d'une minute de mon temps par round, au 3ème, je la bats aux échecs donc je dois quand même passer deux fois la boxe. Vu le 1er round, on m'a dit "il faut que tu la battes maintenant et ne pas y retourner". Elle a joué trop vite et je l'ai matée au 2ème round d'échecs.
À quel point le contexte impacte ton niveau de jeu aux échecs ?
L'idéal c'est de jouer le dernier coup avant de passer à la boxe comme ça quand tu reviens, tu es crevée mais c'est à l'autre de réfléchir en premier.
On est impacté à deux niveaux :
- La vitesse, nous joueurs d'échecs, on essaie de jouer le plus vite possible pour gagner au round d'échecs le plus rapidement possible donc tu joues vite et du coup pas forcément précis.
- 2ème chose : retourner aux échecs après la boxe, c'est physique. Tu as tout le sang qui est parti dans ton corps, les muscles, les poumons et la sensation que j'ai c'est que je sais pourquoi je suis là mais trouver l'inspiration pour jouer le prochain coup est très compliqué. Thomas nous disait l'idéal c'est de jouer le dernier coup avant de passer à la boxe comme ça quand tu reviens, tu es crevée mais c'est à l'autre de réfléchir en premier.
Globalement, tu ne joues pas très bien, moins bien on va dire. Quand je me suis entrainée à Londres au tout début, je ne faisais pas de combat, que du sac ou de la corde à sauter mais rien que ça, un exercice physique intense, ça fait cet effet là. Je reviens : je sais ce que j'ai joué, je sais ce qu'elle a joué mais alors là pour inventer un truc sur l'échiquier... c'est déboussolant.
Tu as déjà essayé d'autres cocktails mêlant sport et échecs ? Je sais que tu fais partie de l'équipe de France de cricket, tu aimes les sports atypiques !
Le condi-chess (ndlr : combinant échecs et course, disputé sur un échiquier géant), c'est mes parents qui ont inventé ca, j'y ai joué tous les étés ! Ce n'est pas la même chose, ce n'est pas le même déboussolement, quand tu reviens à la partie d'échecs, tu n'es pas dépassée physiquement. Bien sûr, tu cours c'est fatiguant. Trois minutes de boxe, ça ne parait rien mais c'est tellement dur. Ce n'est pas le même effet, c'est une autre intensité.
Tous les sports de combat où tu peux gagner en un contre un, style l'escrime, ça ne marche pas car il manque ce concept de KO, il faut un concept où à un moment donné, ça s'arrête comme le judo par exemple.
Penses-tu défendre ton titre ? À chaud tu m'as dit "Plus jamais !".
En fait, j'ai un peu honte de mon combat, j'aimerais bien prouver que je ne suis pas une bille à la boxe. Oui, j'ai gagné aux échecs mais quand même, j'aimerais bien montrer ce que je vaux. Il va falloir que je m'entraine pour le prouver.
Cela me demande énormément de courage de monter sur le ring.
Boxer quelqu'un envers qui on éprouve aucune animosité, c'est difficile au début ?
Non, tu sais que tu es là pour le sport, tu ne détestes pas ton adversaire, en dehors du ring, tu oublies c'est fini. En amont, dans les catégories dures, tu as des regards, de la guerre psychologique, mais chez les femmes, ça reste plus soft, on est encore pas très nombreuses. On est contente d'avoir des adversaires. Cela me demande énormément de courage de monter sur le ring et forcément tu respectes les autres. Puis, après avoir pris et donné des coups, tu peux en boire avec tes adversaires.
Pour conclure, quel message as-tu envie de faire passer pour donner envie aux gens d'essayer le chessboxing ?
Il y a un vrai truc à faire, quelqu'un de pas bien dans sa peau par exemple, peut résoudre ses problèmes. Ça peut sortir des gens d'une situation compliquée ou d'une dépression. C'est un outil extraordinaire pour se remettre en état physiquement et mentalement. Ça permet d'extérioriser, de prendre confiance en soi. C'est un mélange qui marche hyper bien sur le corps et l'esprit.
J'aimerais aussi mettre en avant le coté sportif de la discipline, il reste pas mal de joueurs avec un niveau d'échecs trop bas mais ça s'améliore. En boxe, il y a de supers combats et les échecs, ça progresse. C'est un outil de prise de conscience vraiment génial. En plus, il existe plusieurs clubs en France !
Un grand merci à toi Lara pour cette immersion passionnante dans le chessboxing !
N'hésitez pas à nous donner vos impressions en commentaires !